Le corps dans le río Chubut était bien celui de Santiago Maldonado

Mercredi 18 octobre, un corps est découvert flottant dans le río Chubut en Patagonie argentine. Il s’agit de Santiago Maldonado, disparu depuis le 1er août suite à une opération de répression de la gendarmerie contre la communauté mapuche Pu Lof Cushamen. Les autopsies devront répondre aux questions que se posent la population, la famille de la victime et les Mapuches, et croiser les résultats avec le témoignage de « E ».

La façon et le lieu de la découverte du corps éveillent des soupçons. La famille et les Mapuches s’étonnent que le corps ait été trouvé dans une zone qui avait déjà été ratissée trois fois par des dizaines de gendarmes (police militarisée) et à un endroit facilement visible des deux rives du fleuve. Pourquoi n’a-t-il pas été découvert auparavant ?

Sept heures auprès du corps

N’ayant aucune confiance dans les gendarmes, la famille et les Mapuches se sont immédiatement rendus sur les lieux pour empêcher tout atteinte au corps et au site qui pourrait déranger ou effacer de possibles indices. « Dès le début, les gendarmes et le gouvernement ont menti à notre égard, ils nous ont attaqués et harcelés tout le temps… Nous n’avons pas confiance en eux ». Ils sont restés au bord de l’eau pendant sept heures à surveiller le corps flottant dans le fleuve, pour que personne ne modifie le site en attendant la juge d’instruction.

Le gendarme Echazu

Les policiers affirment avoir envahi la communauté mapuche parce plusieurs d’entre eux avaient reçu des pierres, en particulier le gendarme Emmanuel Echazu. Des enregistrements audios et visuels montrent que ce gendarme se met à tirer des balles de type perdigones (soit des balles de moins de 6 mm de diamètre) en direction d’une cabane au côté de laquelle se voit (sur une photo jusqu’ici cachée par les gendarmes) Santiago Maldonado en train de fuir. Echazu et son collègue Fabián Méndez ne sont rentrés à leur base qu’à 5 h 30 du matin le 2 août, alors que l’opération s’était terminée la veille vers 18 h. Qu’ont-ils fait durant ce temps ?

L’autopsie

Le juge Gustavo Lleral, nommé suite à la mise à l’écart du juge Otranto, décide que l’autopsie sera faite à Buenos Aires, en présence de légistes représentant toutes les parties. Cinquante-six personnes observeront l’autopsie qui sera dirigée par un légiste éminent du Corps médical de la Cour suprême avec la participation de membres de l’Association argentine d’anthropologie légiste de grande réputation internationale. La première observation importante est qu’il ne semble pas qu’il y ait des traces de coups ou des blessures. Il s’agira de déterminer si le jeune homme s’est ou a été noyé, à quel endroit (là où il a disparu ou là où il a été retrouvé) et combien de temps a-t-il été dans l’eau. Ces examens devraient prendre une dizaine de jours.

Le témoignage de « E »

Il s’agit du témoignage de « Lucas », un Mapuche de 19 ans qui serait arrivé à la rivière en même temps que Santiago Maldonado dans leur fuite devant des gendarmes qui tiraient des perdigones. Selon ce témoignage, « E » serait passé de l’autre côté du fleuve mais Santiago qui craint l’eau, a eu peur et est retourné vers le rivage où il a été capturé et emmené par les gendarmes. La poursuite par les gendarmes des sept Mapuches et de Santiago à l’intérieur du territoire de la communauté Pu Lof a été filmée et enregistrée. On entend ainsi une voix policière qui crie « J’en ai un ! J’en ai un ! » ou encore « Il y en a trois qui nagent et un qui flotte ! ». Ces enregistrements confirmeraient donc la déclaration du témoin « E ».  Curieusement, cette partie du film officiel a été perdue (coupée ? effacée ?). Ce témoignage a été remis à la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) mais pas versé au dossier du juge Otranto qui a repoussé par deux fois une entrevue avec « E ».

Encore un mensonge du gouvernement

Ses services ont fait croire que la découverte du corps de Santiago était le résultat d’un coup de téléphone anonyme au juge Lleral par un Mapuche qui voulait recevoir la prime promise (peut-être même « E ») ; une affirmation évidemment vite diffusée par les médias proches du gouvernement. Le juge Lleral a immédiatement tout démenti. Dans une interview au journal Página12, il déclare fermement n’avoir jamais reçu de coup de téléphone ni interrogé le témoin « E » et jamais reçu d’information concernant l’endroit où flottait le corps de Santiago. Il explique qu’il a ordonné un quatrième ratissage pour trois raisons : une demande du bureau du Procureur, une déclaration du préfet Leandro Ruata et les témoignages que le juge avait recueillis en allant à la rencontre des Mapuches. Les lettres A, B (Matias Santana) et E (Lucas) avaient été données aux Mapuches qui avaient témoigné devant la CIDH mais n’osaient pas, jusqu’ici, révéler leur identité en Argentine par peur de représailles de la part des gendarmes. On ne peut pas leur donner tort : deux d’entre eux, dont Santana, avaient déjà été menottés dans le dos, étendus par terre pendant douze heures, et un parent de « Lucas » avait eu la mâchoire fracturée par un gendarme.

La famille demande l’aide de la CIDH

Le 26 octobre, la Commission interaméricaine des droits humains avait invité la famille de Santiago et le gouvernement argentin à une session de conversations à Montevideo en Uruguay. Verónica Heredia, l’avocate de la famille Maldonado, demande à la Commission « qu’elle garantisse que l’enquête aura bien lieu, que se forme un groupe d’experts indépendants car pour le moment, l’indépendance de l’enquête n’est pas garantie ». De fait, il semble que le gouvernement a fait pression sur la Commission et que pour lui, le cas serait résolu. La famille regrette que « le juge Lleral a annoncé qu’il n’y avait pas trace de coup ou blessures alors que l’autopsie n’était même pas commencée ».

Le préfet confirme l’étrangeté de la découverte du corps

Le juge a reçu la déclaration de Leandro Ruata, le préfet (policier) responsable du dernier ratissage. Il confirme que « la hauteur de l’eau ne dépassait pas le 1,40 m, sans doute pas plus de 1 m en août dernier, qu’elle était transparente, presque sans courant à cet endroit, sans branches traînantes et bien visible des rives ». La famille regrette aussi ne pas être tenue au courant des avancées de l’autopsie dont on attend maintenant le résultat…

Jac FORTON