Le roman de l’écrivain mexicain Emiliano Monge « Les terres dévastées », une nette volonté de transformer l’horreur des migrants en oeuvre littéraire…

Un roman, un récit, une photographie, Les terres dévastées du Mexicain Emiliano Monge est un peu tout ça, avec une nette volonté de transformer l’horreur vécue par des migrants et leurs accompagnateurs en œuvre littéraire à part entière.

Ce roman surprend, il peut même dérouter, c’est de toute évidence la volonté de l’auteur. On a un étrange dialogue ‒ dialogue de sourds ‒, un dialogue impossible, entre des hommes et des femmes qui sont à l’extérieur et des hommes et des femmes qui sont à l’intérieur. Sans explications, on doit découvrir peu à peu de quoi il s’agit. Extérieur et intérieur ? Il y a un (ou deux) camion, un bâtiment désaffecté. Dehors, ceux qui décident, qui agissent. Dedans, des migrants, étrangers, réduits à une totale passivité, qui témoignent, ils ne peuvent rien faire d’autre. Entre les deux univers, un mur étanche, aucune communication si ce n’est des éclairs de violence. La seule relation entre les deux c’est le lecteur qui voit les deux côtés du mur. Il voit et entend les dialogues et les plaintes, incapable parfois de faire le lien entre certains personnages, de comprendre l’enchaînement de certains événements, de découvrir la cause de certaines actions. Cela fait partie du « contrat » que propose Emiliano Monge : « Je donne des faits, mon rôle s’arrête là ».

Des pièces pourtant s’assemblent, le passé des personnages principaux se recompose. L’action, au présent et dans le présent, consiste en des ordres donnés répétés, obéis ou non, des coups de téléphone, des rapports de force entre supérieurs et exécutants. Le passé, ce sont des flashes qui donnent une autre réalité aux trois ou quatre protagonistes. L’essentiel, dans le présent, pour les deux personnages principaux, c’est l’amour qui les dévore dans la séparation. Mais l’amour est-il espérance ou course dans et vers le néant ?

Tout est très composé, le style hésite entre le naturel revendiqué ‒ et imposé ‒ des dialogues et des formules parfois inutilement recherchées, comme la façon de nommer les victimes par des phrases comme « ceux qui ne savent pas si leur cœur bat encore dans leur poitrine » ou « ceux qui n’espèrent plus rien du ciel parce que leur dieu les a abandonnés » (en italique dans le texte), qui détonnent par rapport à la réalité dépouillée des migrants.

Il y a des romans qui ne cherchent à aucun moment à séduire, leur sujet le leur impose. Les terres dévastées est de ceux-là. Des destins aux horizons bouchés (contrairement aux paysages de déserts infinis), des amitiés de façade, des trahisons d’une infinie cruauté ne peuvent pas faire une histoire souriante, certaines pages sont à la limite du supportable. En cela le « contrat » proposé par Emiliano Monge est respecté.

Christian ROINAT

Les terres dévastées, d’Emiliano Monge, traduit de l’espagnol (Mexique) par Juliette Barbara, éd. Philippe Rey, 348 p., 22 €. Emiliano Monge en Espagnol : Las tierras arrasadas / El cielo árido, Literatura Random House / Arrastrar esa sombra / Morirse de memoria, ed. Sexto Piso, Madrid.