« Le Monde » et « Libération » consacrent ses éditoriaux à la situation actuelle du Venezuela

Editorial du « Monde » du 21 juillet 2017

Un peuple épuisé, un pays exsangue, en proie au chaos et à la misère, sous la botte d’un régime qui a sombré dans le gangstérisme : combien de temps la tragédie vénézuélienne peut-elle encore durer ? Héritier du « chavisme », autant dire d’un désastre économique et social de proportions historiques, le président Nicolas Maduro s’accroche au pouvoir, dans une fuite en avant où la violence d’Etat est le lot quotidien des citoyens

Le pouvoir chaviste est désormais minoritaire dans l’électorat, mais refuse l’alternance. Ceux-ci ont pourtant plébiscité l’opposition au régime dimanche 16 juillet, lors d’un référendum informel et symbolique organisé par le Parlement, contrôlé par les opposants. Depuis sa défaite aux législatives de décembre 2015, le successeur de l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013) a repoussé sine die tous les scrutins prévus par la loi. Le pouvoir chaviste, longtemps imbattable dans les urnes, est désormais minoritaire dans l’électorat, mais refuse l’alternance.

Gabegie populiste et corruption

Il biaise, cherche des dérivatifs. Ainsi de la convocation d’une Assemblée constituante, qui doit être désignée le 30 juillet, selon un mode de scrutin corporatif, contraire au suffrage universel et à la Constitution chaviste elle-même. Cette Constituante est destinée à remplacer les institutions qui échappent à l’emprise de l’exécutif, comme le Parlement. Depuis début avril, les Vénézuéliens disent « basta » à la prétendue « révolution bolivarienne », qui a ruiné une nation richissime en pétrole . Ce n’est pas la chute des cours du brut qui a précipité l’effondrement de l’économie, c’est la gabegie populiste, l’étatisation des secteurs-clés souvent confiés à des militaires incompétents, la corruption dans des proportions jamais vues auparavant : la moitié de la rente pétrolière des vingt dernières années a disparu sans laisser de trace. Depuis mai, la soldatesque du régime a abattu par balles une centaine de manifestants.

Le « chavisme » masque un Etat mafieux, impliqué dans tous les trafics, de la drogue aux armes. Le pays est une des principales plates-formes d’exportation de stupéfiants vers l’ Europe. Dernier pilier du régime, les forces armées détiennent un tiers des ministères et une partie de l’économie. Certains milieux militaires font des affaires juteuses, grâce entre autres au contrôle des changes institué depuis une quinzaine d’années. Le sort des Vénézuéliens est moins enviable. Récession, hyperinflation, dévaluation de la monnaie et perte vertigineuse de pouvoir d’achat : l’appauvrissement est général. Le 16 juillet, les 7,5 millions de participants au référendum venaient aussi bien des quartiers des classes moyennes que des banlieues et « barrios » plus pauvres.

Incompétence et banditisme d’État

Face à cette opposition qui exige des élections libres anticipées, Maduro répond par une répression brutale, l’usage disproportionné de la force, les arrestations de masse et le recours aux tribunaux militaires contre des civils. Depuis mai, la soldatesque du régime a abattu par balles une centaine de manifestants. Deux jeunes gens ont encore été tués lors de manifestations accompagnant, jeudi 20 juillet, une journée de grève générale dans le pays. Dans ce face-à-face inégal, les opposants ont besoin de solidarité internationale. Les grands voisins du Venezuela, comme la Colombie, doivent imposer une médiation, puis un retrait ordonné du clan Maduro. Il n’y a pas d’autre solution. Le populisme, version Hugo Chavez, a ravagé un pays, ruiné ses habitants, déchiré un tissu social déjà fragile. C’est l’ alliance de l’incompétence et du banditisme d’Etat sur fond de tyrannie politique. Et rien d’autre.

Et du journal « Libération »

Rues désertes, métro vide… Aux premières heures de la grève générale convoquée jeudi par l’opposition au Venezuela, les images diffusées donnaient le vertige. Villes fantômes dans une démocratie fantôme. Dans un pays qu’on dit depuis plus d’un an au bord du précipice, à une étincelle de l’explosion, les opposants n’ont toujours pas trouvé la formule pour chasser du pouvoir le socialiste Nicolás Maduro sans attendre la fin de son mandat, fin 2018. Réunis dans une coalition, la MUD, ils ont misé sur la pression de la rue, à travers des manifestations qui en trois mois et demi ont provoqué 96 morts.

La MUD accepte tous les soutiens, de Donald Trump, l’homme qui méprise et humilie les latinos, à Vicente Fox, ancien président ultralibéral du Mexique, dont le bilan en matière de droits de l’homme est désastreux. Mais l’opposition joue son rôle : elle s’oppose. Le gouvernement, lui, faillit à ses obligations envers 31 millions de Vénézuéliens : les nourrir, leur assurer un toit et des soins de santé, garantir leur sécurité. Les deux camps s’accusent de refuser le dialogue. Au printemps, l’opposition a renoncé à participer à une table ronde parrainée par le Vatican. Le pouvoir s’entête à faire élire le 30 juillet une Assemblée constituante qui lui donnera les derniers pouvoirs qu’il ne contrôle pas encore. Reste une différence de taille. L’opposition présente un front globalement uni, tandis que le chavisme montre des signes d’épuisement, à travers les dissensions internes et un nombre de défections croissant.

François-Xavier GOMEZ
Libération