Paradoxes de la visite du président colombien Juan Manuel Santos à Paris

Leçons paradoxales d’une visite estivale à Paris et à Cannes. Le chef de l’État colombien, Juan Manuel Santos a effectué du 21 au 24 juin 2017, une visite éclair en France, bien paradoxale. Les flonflons du lancement le 23 juin 2017 d’une Année France-Colombie riche en évènements culturels, économiques et sportifs peinent en effet à couvrir les difficultés d’un processus de paix très contesté localement. Mais ils auront et ce n’est pas le moindre des paradoxes mis l’Amérique latine à l’ordre du jour d’un président français aux affinités bien davantage nord que sud-américaines.

Photo : Min. d’Éducation

Pour mémoire et bien situer ce monde de paradoxes, Juan Manuel Santos, a dans ce cours laps de temps, inauguré un Forum économique franco-colombien, prononcé un discours à l’Unesco, été honoré par la Sorbonne-Paris I, d’un titre de Docteur honoris causa, inauguré avec la maire de Paris une place Gabriel-Garcia-Marquez, et enfin assisté à un concert de jeunes binationaux dans la salle de la Philharmonique de Paris. Il a bien entendu dès son arrivée dans la capitale française rencontré son homologue français, Emmanuel Macron.

Paradoxe un, Juan Manuel Santos est un président colombien malheureux. Il a tenté avec succès de mettre un terme à l’un des plus vieux conflits intérieurs. Celui qui oppose, opposait serait aujourd’hui plus exact, la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) à l’État et à ses représentants. Mais loin de lui en savoir gré, une majorité des Colombiens électoralement actifs, ont le 2 octobre 2016, refusé de légitimer les accords de paix. Cette bouderie politique reste majoritaire en dépit d’une ratification ultérieure du compromis de paix par le parlement, et de la communication présidentielle sur le sujet. Les sondages les plus récents sont sans appel. 75 % des personnes consultées par l’institut Yanhaas entre les 14 et 17 juin 2017 désapprouvent les accords passés par le président Santos avec les FARC. Le président a publiquement regretté cette incompréhension, à Cannes le 22 juin 2017, devant un auditoire français.

Paradoxe deux, les meilleurs soutiens au processus de paix et à Juan Manuel Santos, l’initiateur, sont en effet étrangers. Le 26 septembre 2016, à Carthagène, il avait reçu les encouragements personnels du secrétaire général de l’ONU, de la quasi-totalité des chefs d’État et de gouvernement d’Amérique latine, et de plusieurs gouvernements européens représentés par l’un de leurs membres. Le jury Nobel lui avait attribué son prix 2016 de la paix. L’Union européenne, apporte un appui matériel et humain à la bonne marche de la période du post-conflit. L’Unesco lui a réservé le meilleur accueil le 23 juin 2017. La France n’est pas en reste. Elle a reçu Juan Manuel Santos en 2011, en 2014, et en 2015. Le président François Hollande a visité la Colombie en 2017. Le Premier ministre, Manuel Valls, s’est brièvement rendu en Colombie, en 2015. Le secrétaire d’État à la francophonie et au développement, André Vallini, représentait la France le 26 septembre 2016. La diplomatie économique, le réchauffement climatique et bien sûr la paix ont été au cœur de ces visites croisées.

L’Année France-Colombie, paradoxe Trois, témoigne de cet engagement. Au-delà des concerts, des expositions, du Tour de France, des manifestations d’amitié et de coopération dans les domaines les plus divers, cette initiative a pour objet de sensibiliser le plus grand nombre de Français à la réussite d’un évènement exceptionnel, un accord entre belligérants alors que l’Afrique et le Moyen-Orient, enchainent des crises sans fin apparente. Elle a en retour vocation à donner aux Colombiens, un sentiment de respect retrouvé. La Colombie, a longtemps, été associée au trafic de drogue, et aux enlèvements. Pablo Escobar et Ingrid Betancourt, portaient à l’extérieur cette page d’histoire qui désormais serait tournée. La France avec cette Année France Colombie, marquée par six mois d’évènements positifs renverrait ainsi l’image d’un pays en train de gagner le pari de la paix et du développement. Reste bien sûr à en convaincre les Colombiens électoralement actifs, Netflix et les auteurs d’un attentat ayant le 17 juin 2017, à Bogota, causé la mort d’une jeune ressortissante française, Julie Huynh.

Paradoxe Quatre, Juan Manuel Santos a donné l’occasion à son homologue français de marquer un territoire absent de sa campagne électorale, l’Amérique latine. Le calendrier est ainsi fait en démocratie. Un chef de l’État nouvellement élu, chausse les souliers diplomatiques de son prédécesseur. C’est la raison pour laquelle entre Donald Trump, Vladimir Poutine et Angela Merkel, en un mois, Emmanuel Macron, le nouveau premier magistrat français, aura reçu ses homologues péruvien, guatémaltèque et colombien. Le séminaire annuel de l’OCDE, de la BID et du ministère français de l’Économie, la visite officielle du président Santos programmée depuis plusieurs mois, ont ainsi imposé leur présence et leur actualité inattendues.

Paradoxe Cinq, enfin, cette accumulation de bons sentiments et d’échanges culturels, économiques et sportifs convaincront-ils les Colombiens des villes, les Colombiens aisés, du bien-fondé de la paix ? L’enjeu des consultations présidentielles et législatives de 2018 pèse lourdement dans la balance. Les intérêts les plus égoïstes, la lutte des places, la perpétuation d’autres agents violents, menacent d’emporter la paix et le Nobel du président Santos. Tout comme elles menacent de façon incongrue la candidature présidentielle de l’ex-maire de Bogota, Gustavo Petro, condamné à payer une amende de 80 millions de dollars pour n’avoir pas augmenté le tarif des transports en commun publics. La France, en tous les cas a confirmé ses engagements antérieurs. L’Agence française de coopération a officiellement été mandatée pour appuyer financièrement le processus de paix. Plusieurs lignes de crédit ont été ouvertes pour le développement rural. Les Français, à défaut d’avoir réussi à convaincre une majorité colombienne des bienfaits de la paix y auront gagné à coup sûr une meilleure connaissance d’un pays et d’une culture trop souvent réduits à leur profil le plus caricatural. La musique de la Garde républicaine a significativement élargi la gamme de ses partitions musicales à la cumbia. Le président Santos a en effet été accueilli à l’Élysée au rythme de Colombia, tierra querida (Colombie, terre qui nous est chère).

Jean Jacques KOURLIANDSKY