Le bâtisseur de mur ou l’apaisé, à quel Trump l’Amérique latine va-t-elle être confrontée ?

L’éléphant, on le sait, est le symbole du parti républicain. Donald Trump, vainqueur de la présidentielle nord-américaine, portait les couleurs républicaines. Les Latino-américains attendent sa feuille de route gouvernementale avec beaucoup d’inquiétudes. Ses propos de campagne ont retenu l’attention, bien plus que son programme resté indéfini. Ils ont été en effet particulièrement percutants, blessants et parfois insultants à l’égard des Mexicains. Suivis il est vrai d’un discours plus raisonnable au lendemain de sa victoire.

Un éléphant, dit-on, ça Trump. Vu d’Amérique latine, qui croire donc, Trump-éléphant candidat ou Trump-éléphant nouvel élu ?  Que faut-il prendre au pied de la lettre? Le ton de l’élu, posé, ouvert au dialogue, n’a pas grand-chose à voir avec celui du bateleur en pêche aux voix. Un certain nombre de responsables politiques mexicains ont accueilli comme du bon pain les paroles du nouveau président. Soyons comme Saint Thomas, disent-ils en substance, et jugeons sur pièce les décisions du président élu. Les chefs d’État, ont tous réagi de cette façon-là. Argentin, Brésilien, Colombien, Cubain, Paraguayen, Péruvien, à savoir dans l’ordre, Mauricio Macri, Michel Temer, Juan Manuel Santos, Raúl Castro, Horacio Cartes, Pedro Pablo Kuczynski, ont envoyé de chaleureux messages de félicitations au nouveau chef des États-Unis. Parce que, comme l’a déclaré le brésilien, « J’ai la certitude que rien ne va changer dans nos relations ».

Certains ont malgré tout exprimé quelques bémols. Evo Morales, le bolivien, s’est fendu d’un communiqué vengeur. « Le nom des présidents (nord-américains) importe peu. La tendance impérialiste va se perpétuer ». Heraldo Muñoz, ministre chilien des affaires étrangères a signalé lui aussi une inquiétude. « Le monde est de plus en plus imprévisible et difficile », a-t-il déclaré. Les États-Unis vont-ils demain », a-t-il ajouté, avec ce président, « respecter leurs engagements commerciaux avec les pays de la région comme avec ceux de la zone pacifique ? » Quant à Enrique Peña Nieto, échaudé par un rendez-vous avec le candidat Trump terminé en « journée des dupes », il s’est fendu d’un texte, au lendemain de la consultation présidentielle nord-américaine, tout aussi ambigu que son destinataire. « Je félicite » a-t-il écrit, « le peuple américain qui a démontré son civisme ». Pas un mot donc, sur le bénéficiaire du patriotisme électoral salué par EPN. En clair, entre discours lénifiant d’un lendemain de victoire et insultes de campagne, les dirigeants latino-américains ne savent pas sur quel pied danser. Doivent-ils accorder crédit à l’heureux vainqueur de la consultation? Ou bien prendre pour argent comptant les harangues ciblant d’un doigt vengeur Mexicains et autres Latino-américains dispensées pendant la campagne par le candidat ?

La rudesse des critiques, frisant xénophobie et racisme, a soudé migrants et peuple latino-américain de droite, de gauche et sans partis pris. Les mots de Donald Trump ont collectivement blessé amours propres et sensibilités. Les Mexicains ont été les boucs-émissaires les plus souvent ciblés par Trump-candidat. Dès juin 2015, il a dénoncé les migrants venus de ce pays comme des « violeurs et des trafiquants de drogue ». Quelques semaines plus tard, il les a accusés d’introduire des maladies contagieuses aux États-Unis. Il a logiquement conclu en annonçant la construction d’un mur de 3200 kilomètres entre États-Unis et Mexique permettant de protéger la population WASP de toutes ces turpitudes. Il a même précisé que ce mur serait financé par les Mexicains eux-mêmes. Sans doute pour compenser les baisses d’impôts promises aux entreprises et aux plus riches, seraient donc taxés les envois d’argent à leurs familles par les migrants légaux. Quant aux autres, les sans-papiers que Barak Obama envisageait, tardivement, de régulariser, ils seraient tous expulsables. En Floride, État disputé, tenant meeting, Donald Trump a fait un sort particulier à deux pays hémisphériques, suspectés de communisme, Cuba et Venezuela. Les combattants des libertés, seront aidés, si je suis élu, a-t-il indiqué le 8 novembre 2016, pour briser « l’oppression communiste ». « Ce pacte d’Obama » a-t-il ajouté, « ne bénéficie qu’au régime de Castro ». Ce pacte reposant a-t-il précisé sur des décrets pris par l’Exécutif, peut être très vite annulé par un autre président.

On peut comprendre que ce galimatias électoraliste agressif ait déstabilisé et inquiété jusqu’aux plus grands amis latino-américains des États-Unis. Ceux de la rive Pacifique, Mexique, Amérique centrale, Colombie, Pérou, Chili, qui ont signé des traités de libre-échange avec Washington. La Colombie, qui entend mener à bon port un accord de paix intérieure avec une guérilla communiste, les FARC, ont délibérément choisi d’ignorer Trump candidat. Ils ont félicité Donald Trump, chef d’État élu, comme si de rien n’était. D’autres, bolivien, chilien, mexicain, ont malgré tout eu du mal à faire comme si. Ils ont, de manière inhabituelle dans un tel contexte, signalé publiquement leur malaise diplomatique.

Il ne reste plus aux uns et aux autres, migrants légaux et sans papiers, présidents et gouvernements, d’autre option que l’attente. Une certitude malgré tout inattendue et paradoxale. Ayant choisi de mobiliser le petit électorat blanc en lui donnant un os latino ou hispanique à ronger, Donald Trump a fabriqué des milliers de nouveaux citoyens électeurs, issus de cette communauté.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY

Chercheur à l’IRIS sur les questions ibériques (Amérique latine et Espagne). Article publié sur le site du Huffington Post et repris ici avec l’autorisation de l’auteur.