Le film chilien « Tout va bien » sort en salles cette semaine

Le film chilien d’Alejandro Fernández Almendras Tout va bien (Aquí no ha pasado nada), présenté à la 66e Berlinale, au 33e Festival Sundance et au Cine Latino de Toulouse ainsi qu’au Festival de San Sebastián, de Beaune et de La Rochelle, vient d’être désigné pour être le représentant chilien pour les prestigieux prix Goya au meilleur long-métrage ibéro-américain. Ce film dont la sortie dans les salles françaises dès cette semaine, s’inspire d’un fait divers qui avait choqué l’opinion publique chilienne en 2013.

Presque trois ans après les faits ayant inspiré le réalisateur, et quelques semaines après sa sortie dans les salles chiliennes, arrive en France le dernier film du réalisateur chilien Alejandro Fernández Almendras. Ce jeune réalisateur s’est déjà fait connaître par ses deux précédents long métrages Huacho et Tuer un homme. En septembre 2013, au Chili, un jeune homme ivre au volant, Martín Larraín, l’un des douze enfants de Carlos Larraín riche avocat, ancien sénateur et, à l’époque, président du parti Rénovation nationale (centre droite), dans sa voiture pleine de camarades aussi ivres que lui, renverse un piéton et s’enfuit. La police identifie le groupe, les conclusions de l’autopsie aggravent encore le cas des jeunes gens : s’ils avaient porté secours au piéton, ce dernier aurait pu survivre. Carlos Larraín, le père proposa d’acheter le silence de la famille de la victime pour 20 000 $. La conclusion du fait divers aurait pu être simple, cependant le chauffard est acquitté.

Après plus d’un an d’enquête et de procédures pour le moins douteuses, Martín Larraín fut acquitté des charges qui pesaient sur lui et ses amis furent déclarés coupables d’obstruction à la justice. Ce fait divers avait profondément choqué la société chilienne ainsi que Alejandro Fernández Almendras qui décide de réaliser Tout va bien. Le film a très vite suscité le soutien de nombreux contributeurs de la campagne de financement participatif (en 45 jours) ainsi que l’engagement d’acteurs de renom, dont Paulina García (Gloria), Luis Gnecco (Neruda) et Alejandro Goic (El Club), et d’une grande partie de l’équipe du film (techniciens, designers, compositeurs et producteurs). L’annonce de sa sortie au Chili fit la une des journaux.

« J’ai toujours été intéressé par la justice ; dans le film, cette idée de justice est liée à beaucoup d’autres sujets. Je suis retourné au Chili en 2007 et les profondes inégalités que j’ai y trouvées m’ont beaucoup heurté », dit le réalisateur Fernández dans un interview à propos de son film qui montre, avec une grande finesse et lucidité, le mode de fonctionnement de la société chilienne et de son élite et surtout les écarts de la justice. Avec Tout va bien le cinéma chilien porte le regard lucide et dénué d’optimisme que les jeunes cinéastes chiliens jettent sur leur société actuelle. « Les gens qui évoluent dans ce milieu considèrent qu’y vivre est ce qu’il y a de plus normal. Aucun d’entre eux n’est conscient ni de l’autre, ni de la place dont il bénéficie dans la société », explique encore le réalisateur. « Ils agissent selon ses convenances, mais ignorent peut-être qui contrôle le monde. Je crois qu’ils ne le font pas par malveillance ou en jouissant de leurs avantages, comme nous aimerions le penser. C’est une idée très réconfortante de penser que la malveillance est visible, évidente et monstrueuse, car cela nous permet de croire qu’il est possible de s’immuniser contre elle », poursuit le cinéaste.

Alejandro Fernandez Almendras, dont Tout va bien est le quatrième long-métrage, fait pourtant le pari d’aborder son histoire par un chemin de traverse s’intéressant peu au chauffard ; son principal protagoniste est l’un des passagers. Le cinéaste s’intéresse surtout à autopsier les dysfonctionnements de la justice de son pays. En 2014, avec Tuer un homme, il décrit les difficultés des plus pauvres à accéder aux services judiciaires. Avec Tout va bien, il approfondit sa réflexion sur un système perverti qui peut garantir l’impunité à ceux qui ont les moyens financiers de se l’offrir. Le réalisateur plante son décor dans les villes de la côte voisines de Zapallar, Cachagua, Maitencillo et La Ligua, au Chili. La nature est luxuriante, avec des magnifiques paysages, plages dorées et réserves naturelles autour de grandes collines forestières où l’on peut observer de belles demeures. La région est depuis toujours un des lieux de villégiature exclusive pour les familles fortunées de la capitale.

Alejandro Fernández Almendras dans son film comme d’ailleurs dans les précédents, évite tout manichéisme et ne se donne pas le droit de placer les protagonistes dans le camp des bons ou dans celui des méchants. Le regard sans complaisance que la talentueuse jeune génération de cinéastes chiliens porte sur la société chilienne pourrait peut-être nous autoriser à rêver qu’un jour, au Chili les choses seront différentes.

Olga BARRY

« Rodéo » est le deuxième film de Gabriel Mascaro,
cinéaste brésilien qui avait obtenu un prix à Locarno 2014 pour Ventos do agosto

Le film « Rodéo » nous fait découvrir l’univers et les coulisses des populaires rodéos de la région du Nordeste brésilien. Dans ce jeu de tradition paysanne pratiqué dans plusieurs pays de l’Amérique latine, les cavaliers doivent mettre un taureau à terre en l’attrapant par la queue. Un de ces héros est Irémar, trentenaire, préparateur des vaches avant leur entrée en piste. Ce dernier partage le quotidien des personnes qui participent dans le camion itinérant qui transporte les vaches de village en village. Le camion leur sert de toit, formant ainsi une véritable famille avec le brave Zé, la belle Galega, ainsi qu’une fillette, Caca.

Irémar se consacre à la confection de vêtements de mode pour les rodéos et les spectacles, il n’est pas attiré par la lutte entre le taureau et les cavaliers. Dans ce genre de western les codes sont déplacés : le masculin et le féminin sont inversés ; ici, c’est Galega qui conduit le camion et qui détient la boîte à outils de la troupe, alors que le très viril Irémar utilise la machine à coudre, rêvant de quitter sa condition pour devenir couturier-styliste. Par ailleurs, les rodéos ne sont pas les mêmes que l’on voit dans les films de Texas. Avec des tissus de récupération, il dessine et fabrique des costumes sexy pour les performances que Galéga donne entre deux rodéos, à mi-chemin entre la chanson électro-pop et le strip-tease.  Le film d’une description quasi-documentaire montre une réalité méconnue en Europe et est illuminé par une photographie très sensuelle. Gabriel Mascaro s’attache à montrer la promiscuité qui règne au sein de cette troupe itinérante, que ce soit entre les adultes, entre eux et la petite Caca, ou entre les humains et les bêtes. Il y a ici une dimension sensuelle et même sexuelle (excessive) du regard de Mascaro. Cependant, ce qui constitue incontestablement l’intérêt majeur du film est celui de découvrir une facette à la fois méconnue et étonnante de la vie au Brésil. Rodéo a obtenu le prix spécial du jury Orrizonti au festival de Venise 2015.

Alain LIATARD

Allo-ciné