Venezuela, Chili, Brésil et Argentine, le temps des marches est revenu

Dans ces quatre pays, les gens sont descendus en masse dans la rue. Les 1er et 8 septembre, partisans et opposants au gouvernement du président vénézuélien Nicolas Maduro ont occupé la rue. Au Chili, les manifestants exigent la fin des Fonds de pension créés par Pinochet. En Argentine, la Marche fédérale s’oppose aux augmentations démesurées des prix ordonnées par le président Mauricio Macri. Au Brésil, « Temer dehors » est le slogan.

Venezuela : pour et contre le président Maduro

La MUD (Table de l’unité démocratique), un regroupement de partis et de mouvements d’opposition au gouvernement du président Nicolas Maduro, exigent de la Commission nationale électorale qu’elle définisse une date pour la tenue d’un referendum révocatoire visant à le destituer. L’enjeu n’est pas simple : si ce referendum a lieu avant le 10 janvier 2017 et que Maduro perd, il faudra tenir de nouvelles élections présidentielles ; si le referendum a lieu après le 10 janvier et le président perd, il est simplement remplacé par son vice-président. En attendant, partisans et opposants mesurent leurs forces en organisant de grandes marches nationales. Les 1er et 8 septembre, ils sont descendus dans la rue. En réponse à la « Prise de Caracas » organisée par l’opposition, les partisans du gouvernement ont organisé une « Prise du Venezuela ». Les quatre marches  ont réuni des dizaines de milliers de marcheurs.

Chili : les Fonds de pension en accusation

« No más AFP » (Fin des AFP, Administradoras de Fondos de Pensiones) est le slogan de la marche du 25 juillet dernier, suivie par plus de 100.000 personnes rien qu’à Santiago.  Les AFP  furent créées pendant la dictature du général Pinochet par son ministre du Travail José Piñera (frère de l’ancien président Sebastian Piñera 2010-2014). Le système fonctionne comme un compte d’épargne individuel et obligatoire.  Chaque travailleur doit verser 10 % de son salaire aux AFP qui sont des entités privées. José Piñera assurait que l’argent accumulé en fin de carrière donnerait des retraites équivalant à 70 % de la moyenne des salaires des dix dernières années de cotisation.  La réalité est tout autre. 90 % des pensions sont de moins de 156.000 pesos (208 euros, pour un euro à 750 pesos), c’est-à-dire moins que le salaire minimum légal qui est monté à 257.500 pesos (343 euros) en 2016. Plusieurs centaines de milliers de retraités touchent à peine 119.000 à 156.000 pesos (environ 158 à 208 euros).  Les actionnaires et les propriétaires des AFP, eux, touchent plusieurs millions par mois. Dans un livre, José Piñera avait reconnu que « le but véritable de la création des AFP était la diminution gigantesque du pouvoir politique de l’État sur l’Économie » (1).

En effet, l’argent des retraites versé par les travailleurs est utilisé par les AFP pour investir dans les grandes entreprises chiliennes ou  pour spéculer en bourse. S’il y a des pertes, elles sont assumées par le travailleur cotisant. S’il y a des bénéfices, ils vont dans la poche des actionnaires des AFP !  Plus d’une dizaine de ministres de Pinochet se sont retrouvés à la présidence ou comme directeur d’AFP. De nombreux responsables politiques des partis de la Concertation démocratique au pouvoir depuis la fin de la dictature, bien qu’accusant celle-ci de tous les maux, n’ont pas hésité à sauter dans le train AFP et sont aussi devenus directeurs d’AFP… Étrangement (ou pas), les militaires bénéficient de l’ancien système et l’État paie 90 % des retraites des hommes en uniformes. Revenu en 2016 des États-Unis où il vit, José Piñera a essayé de défendre sa création en comparant son système AFP « à une Mercedes-Benz » roulant pour le développement du pays. En réponse, le député Fuad Chahin « constate que la Mercedes est peut-être pour les propriétaires des AFP mais que les cotisants n’ont même pas de quoi s’acheter une bicyclette ! »

En mars 2008, le gouvernement décide de subventionner les petites pensions par un Système de pensions solidaires (SPS) par lequel tout retraité qui n’obtient pas un minimum recevrait un subside de l’État. En 2015, le minimum considéré est de 380 euros. Lassés par leurs retraites minables et l’enrichissement des actionnaires, les gens sont descendus dans la rue. Les vieux pour réclamer justice par rapport aux millions qu’ils ont épargnés mais dont ils ne tirent aucun bénéfice, les jeunes parce qu’ils ne veulent pas tomber dans la misère lorsque ce sera leur tour. Tous exigent la fin des AFP privées et le retour au système solidaire de répartition géré par l’État.

Argentine : la Gran Marcha Federal

Lors de sa campagne électorale, le candidat présidentiel Mauricio Macri avait promis que l’emploi ne serait pas menacé et qu’il ne dévaluerait pas le peso. Une fois élu président, il a fait tout l’inverse : 120.000 emplois perdus en 3 mois, une dévaluation de près de 40 % de la monnaie, des augmentations des tarifs des services publics (eau, gaz, électricité, transports) tellement démesurés (jusqu’à 800 % !) que le gouvernement a dû instituer un plafond limité à… 400 %. En ligne directe avec l’orthodoxie néolibérale, il a « ouvert les frontières » en clamant que cela attirerait les investisseurs. Pour commencer et pour plaire aux États-Unis, il a accepté de payer aux fonds vautour les milliards de dollars que le gouvernement de l’ancienne présidente Cristina Fernández avait refusés de débourser.  Résultat : les investisseurs sont restés chez eux, les industries et artisans argentins ferment boutique en masse face à l’avalanche de produits importés, une baisse importante du pouvoir d’achat du peuple mais des bénéfices grandioses pour les agro-exportateurs (soja OGM et blé). Neuf mois après son élection, le ras-le-bol a incité la population et les acteurs sociaux à organiser une Grande Marche fédérale. Le 2 septembre dernier, des milliers de personnes sont descendues dans la rue. Le plus surprenant fut la diversité des marcheurs : mouvements sociaux, étudiants, syndicats, petits producteurs, coopératives, travailleurs, organismes de défense des droits humains. Plus de 120 organisations ont appelé à marcher de nouveau le 16 septembre prochain.

Brésil

« Fora Temer », Temer dehors… Plus de 100.000 personnes ont manifesté leur opposition à la prise de pouvoir de Michel Temer par destitution de l’ancienne présidente Dilma Rousseff en défilant sur la Avenida Paulista de Sao Paulo le 4 septembre dernier. Pour Julio Turra, du directoire de la Centrale unique des travailleurs (CUT), « Après la farce juridique, ils veulent liquider les droits sociaux des travailleurs et des retraités, et attaquer la souveraineté nationale par la privatisation des réserves de pétrole ». Les manifestants exigent également la démilitarisation de la Police militaire, très violente dans sa répression des marcheurs, et l’organisation de nouvelles élections présidentielles.

Un nouveau sujet politique ?

Le retour de la droite néolibérale dans plusieurs pays et la corruption touchant les élites (Panama Papers) ont créé un profond malaise politique et social. Ne pouvant plus avoir confiance en ses représentants élus, le peuple descend dans la rue, (re)devenant ainsi à nouveau protagoniste de son devenir et acteur politique incontournable. Selon Hugo Yaski, un haut responsable syndical argentin, « La Marche fédérale a rempli un vide de représentation du conflit social… Les participants sentaient qu’il fallait unifier et exprimer une demande de changement profond des politiques qui constituent une agression permanente contre les secteurs populaires ». Cette analyse est sans doute valable pour l’ensemble de l’Amérique latine.

Jac FORTON

(1) Cité par un article de Daniel Matamala publié en ligne par CIPER-Chile le 26 juillet 2016.