Défense combative de la présidente Dilma Rousseff contre sa destitution

Tout est légal pour les uns, c’est un coup d’État pour d’autres. 61 des 81 sénateurs ont voté pour la destitution. Rousseff définitivement écartée, Temer et la droite prennent le pouvoir sans élections…

Photo : Site Fragil

La présidente est accusée de « pédalage fiscal », c’est-à-dire l’emprunt temporaire en fin de mandat de fonds à une banque pour financer des réformes et des programmes sociaux, ce que l’opposition appelle « un maquillage des comptes ». Ce n’est pas la procédure qui serait le « crime » de la présidente mais le fait qu’elle n’a pas requis l’autorisation du Parlement pour ces emprunts. Il s’agirait donc d’un « crime de responsabilité ». Le plus étrange est que les six présidents précédant Dilma Rousseff ont tous utilisé cette procédure sans avoir être jamais été inquiétés.

Tout est légal pour les uns…
Une vraie farce pour les autres

Selon les sénateurs pro-destitution, la procédure est tout-à-fait légale et en respect de la Constitution car elle a d’abord été votée par une majorité de députés de la Chambre basse, puis par une Commission spéciale du Sénat, et enfin par une session plénière du Sénat. Tout serait donc légal… Légal peut-être, mais complètement illégitime selon les partisans de Dilma Rousseff. Lors de la troisième journée des plaidoiries des deux parties devant le plenum du Sénat, les sénateurs ont écouté entre autres défenseurs de la présidente Nelson Barbosa, ancien ministre des Finances, le professeur de droit Ricardo Lodi, puis l’économiste Luiz Gonzaga. Pour ces personnalités, la présidente n’a pas violé les lois fiscales et n’a retiré aucun bénéfice personnel de ses décisions. Les sénateurs pro-Dilma Paulo Paim et Vanessa Grazziotin estiment « lamentable » que durant le témoignage de Barbosa, de nombreux sénateurs pro-destitution n’étaient même pas présents. « Puisque les sénateurs sont devenus des juges devant condamner ou innocenter un accusé, il doivent écouter les témoignages à charge et à décharge pour se faire une opinion informée. Leur absence prouve que ce jugement n’est qu’une comédie, une farce. »

Dilma Rousseff combative
face à ses juges

Le lundi 29 août, Dilma Rousseff se retrouve face aux 81 sénateurs. Elle dirige son discours vers ceux  qu’elle « est venue regarder dans les yeux » en référence à une photo célèbre de sa condamnation à l’âge de 22 ans par des juges militaires pour son opposition à la dictature : Dilma Rousseff regarde le photographe pendant que les juges cachent leurs visages pour ne pas être reconnus. Mais c’est aussi un discours dirigé au peuple et pour l’histoire du Brésil : « Je ne lutte pas ici pour mon mandat, par vanité ou soif de pouvoir. Je suis venue lutter pour la démocratie, la vérité et la justice ».

Les sénateurs
accusent

Lorsque le sénateur Alvaro Dias affirme que la procédure de destitution a commencé par des manifestations anti-gouvernement dans la rue, la réponse de Rousseff est cinglante : « Non monsieur, elle a commencé dans les mains de Eduardo Cunha », le président de la Chambre des députés destitué de son poste pour corruption (5 millions de dollars cachés en Suisse). « Je n’ai pas commis de crime de responsabilité, je n’ai pas de comptes à l’extérieur, je ne me suis pas enrichie avec de l’argent public… », une référence au fait que plus de la moitié des sénateurs de l’accusation sont soupçonnés de corruption ou ont été mis en examen dans le cadre du scandale financier Petrobras (des milliards donnés à des politiciens corrompus des cinq principaux partis politiques).

Dilma Rousseff
contrattaque

« Il n’est pas légitime d’écarter un président pour l’ensemble de son travail. Cela, seul le peuple et le vote peuvent le faire… Les élites autoritaires ne voient pas la volonté du peuple comme une source de légitimité : elles veulent le pouvoir à tout prix… Moi, je n’ai jamais changé de bord… Je suis jugée pour un crime que je n’ai pas commis alors que Cunha n’est pas encore jugé pour des délits prouvés… Nous sommes à un pas d’une grave rupture institutionnelle, de la réalisation d’un véritable coup d’État… ». Et un dernier message destiné aux quelques sénateurs encore indécis : « Votez contre la destitution, votez pour la démocratie ».

Les étranges discours
des parlementaires

Lors du vote des 513 députés le 17 avril dernier, la majorité des votants pro-destitution l’a fait au nom de Dieu, de la religion, de l’épouse, des enfants, de la famille, de la morale, presque jamais pour un délit quelconque ! Les sénateurs ne s’en sortent pas mieux : 60 % d’entre eux sont mis en examen pour corruption mais bénéficient de l’immunité parlementaire. Eduardo Cunha, le véritable initiateur de l’accusation contre Dilma Rousseff, non seulement a été exclu de la présidence de l’Assemblée nationale pour corruption, mais il a menacé ses collègues « de tout raconter » s’ils ne votaient pas pour la destitution. Dans d’autres parages, on appellerait cela du chantage. Vu le nombre de parlementaires qui lui obéissent, il doit en avoir des choses à raconter…

Prochaine étape :
éliminer Lula ?

La seule personnalité de gauche qui pourra menacer la droite aux élections de 2018 est Lula da Silva. Il faut donc tout faire pour l’écarter. La Police fédérale, très favorable à la droite, vient de l’accuser pêle-mêle de corruption passive, blanchiment d’argent et dissimulation de patrimoine ! Elle accuse Lula d’être le vrai propriétaire d’un appartement qui a été construit par une entreprise accusée de corruption dans le scandale Petrobras. Lula dit qu’il a effectivement envisagé d’acheter cet appartement, mais qu’il a finalement décidé de ne pas l’acquérir et que l’entreprise de construction l’a remis à la vente. Pour le moment, les accusateurs n’ont apporté aucune preuve de corruption de Lula.  L’important, tant dans le cas de Dilma Rousseff que de Lula da Silva n’est pas de prouver des délits, mais, avec l’aide d’une presse très liée à la droite, d’accuser…

Un président peu apprécié,
la justice aux trousses

De peur de se faire huer comme il le fut lors de l’inauguration des JO, le président par intérim Temer n’a pas osé se présenter à la cérémonie de fermeture des Jeux. Sa popularité ne dépasse pas les 14 % ! De plus, des directeurs de l’entreprise BTP Odebrecht ont déclaré à la justice qu’ils ont « fait don » sur un compte caché à l’étranger de trois millions de dollars pour financer la campagne présidentielle de Temer en 2010. La justice, saisie de cette accusation, a décidé de s’y intéresser « plus tard ». Autre problème : lorsque Rousseff a signé les décrets nécessaires au « pédalage fiscal » qui est le « crime » dont on l’accuse, Michel Temer était son vice-président et les a également signés. Alors pourquoi n’est-il pas aussi mis sur la sellette ? Temer se frotte les mains : une fois la destitution votée, il s’envolera vers le sommet G-20 de Pékin rencontrer son ami Obama qui a déjà fait savoir qu’il ne voyait rien à redire à la procédure en cours. Temer s’envolera avec plusieurs des ministres de son cabinet  (que des hommes, que des Blancs).

Dernière minute 

61 sénateurs sur 81 ont voté la destitution. « C’est la deuxième fois que j’affronte un coup d’Etat dans ma vie. D’abord, ce fut le militaire (en 1964), qui m’a affectée quand j’étais une jeune militante, maintenant c’est le coup parlementaire qui m’écarte du poste pour lequel j’ai été élue », dit l’ancienne présidente.

Jac FORTON