Le libre-échange et l’épidémie de malbouffe : le cas du Mexique

Le texte ci-dessous est extrait du livre “Hold up sur le climat. Comment le système alimentaire est responsable du changement climatique et ce que nous pouvons faire”, co-publié par Grain et les éditions du Cetim, Genève, 2016 (1). Les transnationales de l’alimentation ont compris que les principaux marchés qui peuvent assurer leur croissance se trouvent dans le sud de la planète. Pour augmenter leurs profits, elles doivent vendre des produits destinés aux millions de pauvres de la planète.

Le cas du Mexique

L’accord de libre-échange nord-américain (ALENA, États-Unis, Canada et Mexique), signé en 1993, a déclenché une poussée immédiate d’investissements directs depuis les États-Unis dans l’industrie de la transformation alimentaire du Mexique. Les grandes entreprises ont lourdement investi pour racheter les centres de distribution locaux. Les immenses supermarchés constituent une part importante des nouveaux modèles de distribution car ils concentrent les biens, mais le but essentiel est de remplacer les épiceries de proximité en s’attaquant agressivement à ces territoires indépendants du commerce.  Cette stratégie a dopé les volumes énormes de vente grâce à ce que l’industrie appelle “le contrôle absolu du point de vente” : une réduction drastique des options d’achat. Les gens consomment ce qu’ils ont à la main et les articles disponibles dans de nombreux quartiers, et même dans des communautés isolées dans les campagnes, sont presque exclusivement des aliments transformés. Le contrôle de leur disponibilité est donc devenu un facteur essentiel dans le business de la transformation de la nourriture, et lorsque les petites épiceries (certaines détenues par une chaîne) déménagent, le contrôle grandit. Selon la Chambre du commerce du Mexique, cinq épiceries indépendantes ferment pour chaque nouvelle épicerie de proximité appartenant à une chaîne.

Vers 2012, les chaînes avaient déplacé les épiceries en tant que principaux points de vente d’aliments avec 35 % de marché national, alors que la part des épiceries indépendantes atteignait 30 % et celle des marchés de rue, 25 %. Le nombre de supermarchés, de chaînes discount et de petites épiceries de chaîne a explosé, passant de 700 à 3 850 pour la seule année 1997, et à 5 730 en 2004. Aujourd’hui, Oxxo, propriété de Femsa, une filiale de Coca Cola, ouvre trois épiceries par jour en moyenne et ouvrait sa 14.000e épicerie en 2015.

Ce boom est parfaitement cohérent avec le contrôle territorial qui vise à affaiblir et éliminer les épiceries de proximité, en se battant rue par rue pour imposer sa vision commerciale de la consommation alimentaire. Les grands supermarchés vont durer mais ce sont les détaillants qui vont permettre aux grandes entreprises d’atteindre les populations les plus pauvres dans leurs propres quartiers.

Des effets néfastes sur la santé

Un des principaux effets est le changement radical dans le régime alimentaire de la population et une augmentation disproportionnée de la malnutrition, de l’obésité et du diabète. Le rapport de l’Instituto Nacional de Salud Pública du Mexique (Institut de santé publique) a conclu que de 1988 à 2012, la proportion de femmes en surpoids agées de 20 à 49 ans était passée de 25 % à 35 %, et le pourcentage de femmes obèses de ce groupe d’âge est passé de 9,5 % à 37,5 %. Un étonnant 29 % des enfants mexicains âgés de 5 à 11 ans sont en surpoids, tout comme 35 % des jeunes de 11 à 19 ans, alors qu’un enfant d’âge scolaire sur dix souffre d’anémie.

L’obésité et le diabète s’alimentent mutuellement ; leur interaction est si forte qu’un nouveau terme a vu le jour : la “diabésité”. Qui remercier pour cela ? Les transnationales de l’agro-industrie soutenues par les gouvernements qui partagent leurs intérêts. Après sa mission au Mexique en 2012, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation des Nations unies, Olivier de Schutter, a conclu : “Les politiques commerciales en vigueur aujourd’hui favorisent une dépendance beaucoup plus grande à l’égard des aliments très transformés et raffinés avec une longue vie sur l’étagère, au détriment de la consommation d’aliments périssables et frais, notamment les fruits et les légumes… L’urgence de surpoids et d’obésité que connait le Mexique aurait pu être évitée ou en grande partie atténuée, si les problèmes de santé liés aux régimes alimentaires changeants avaient été intégrés à la conception des politiques alimentaires”.

L’influence des transnationales (TSN)

Avec l’invasion de la nourriture transformée liée aux rachats agressifs des petits points de distribution, les politiques publiques du Mexique sur l’alimentation (dont la Croisade nationale contre la faim), sont étroitement associées aux grandes sociétés transnationales (dont Pepsico et Nestlé). Au Mexique, leur influence est si grande que des programmes gouvernementaux d’assistance  promeuvent officiellement leurs produits !Toute l’attention est portée sur les gros agriculteurs et producteurs, alors que les paysans et les petits producteurs n’ont presque aucun soutien. D’après l’ancien Rapporteur spécial sur l’alimentation, “moins de 8 % des dépenses des programmes agricoles” bénéficient à ce secteur défavorisé. Malheureusement, le Mexique est aux mains des grandes entreprises.

Jac FORTON

(1) GRAIN est une association qui soutient les petits paysans. SITE.
CETIM (Centre Europe Tiers-Monde) est un centre de recherches et de publications basé à Genève qui travaille sur les questions de développement et de défense des droits économiques, sociaux et culturels. SITE.