Entre Cannes et Tangos, l’actualité du cinéma latino-américain reste très riche

Ultimo tango,
un film de German German Kral

« Pour moi, le tango est la seule danse qui embrase l’imagination et la créativité au point qu’elle peut raconter sans mots, en seulement trois minutes, une grande histoire d’amour ou de haine ». Juan Carlos Copes.  María Nieves Rego (81 ans) et Juan Carlos Copes (84 ans) se rencontrent en 1948 à Buenos Aires dans un club de tango alors qu’ils sont encore adolescents. La jeune fille, âgée de 14 ans et issue d’un milieu pauvre, et le passionné de tango, âgé de 17 ans, tombent amoureux et forment un couple. Ils marqueront les 50 prochaines années par leur art commun. L’histoire du tango moderne est impensable sans eux. Mais ce sera une histoire d’amour et de haine. Et cela va enrichir leur jeu. Eux qui se voyaient comme Gene Kelly et Cyd Charisse, ressemblent plus aux relations entre Fred Astaire et Ginger Rogers qui en virent à se détester. Le film comporte une vingtaine de tangos réenregistrés, recrée des scènes avec de jeunes danseurs, mais avec trop peu d’archives. Pour en savoir plus sur ce couple mythique et si vous aimez le tango, vous serez comblés !

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Absence,
beau film brésilien de Chico Teixeira

C’est le second film de Chico Teixeira après A casa de Alice (2007). Il était économiste de formation et Absence a obtenu de nombreux prix dont le Prix Coup de cœur au festival Cinelatino de Toulouse en 2015. On remarquera que le cinéma latino s’intéresse beaucoup à l’enfance et son passage à l’adolescence, comme le très beau film cubain Chala, une enfance  cubaine. Mais là nous sommes au Brésil.  À 14 ans, Serginho se doit d’être l’énergie vitale du foyer familial quitté par son père et délaissé par une mère déprimée. Alors qu’il n’a pas encore vécu son adolescence et dans un contexte socio-économique difficile, il doit, seul, assumer des responsabilités d’adulte. Le manque d’entourage affectif familial, entremêlé à l’impossibilité de vivre la quête de soi, crée en lui une confusion sur ce qu’il est. Sans comprendre ses propres désirs, il cherche à combler ses carences dans la figure de son professeur.

« L’adolescence est une étape si difficile déclare le réalisateur.  Le passage de la vie de l’enfance à la vie adulte, on ne sait pas très bien comment se comporter. En même temps, c’est un très beau stade, plein d’espoir. C’est dont je voulais parler, peut-être parce que ça me rappelle à quel point j’étais perdu à cet âge. Ce garçon, Serginho, a grandi trop vite parce que la vie le lui a imposé. Mais même ainsi, il a ses soupapes d’échappement. Quand il va au cirque, nous nous rendons compte de l’âge qu’il a. Je voulais faire un film abordable à toute personne. Mais la proximité que je cherche est émotive, interne. Pas une proximité allégorique à travers de grands projets. Je ne pense pas que mon film est adapté pour ceux qui veulent s’amuser. Les gens sont sortis très calmes des projections, très silencieux, et je pense que c’est agréable de voir ça ». Sans misérabilisme et avec le regard attentif d’un documentariste, Chico Teixeira dissèque les liens d’une famille qui se défait petit à petit. Le spectateur a presque la sensation de pouvoir toucher, de vivre le drame qui se déroule devant lui. Mais ce réalisme va aussi avec une qualité d’image et d’interprétation tout en retenue.

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L’œil d’Or à Cannes
pour Cinéma novo d’Eryk Rocha

Créé l’an passé par la Scam, Société civile des Auteurs Multimédia, et le festival de Cannes, L’œil d’Or récompense le meilleur documentaire (parmi les 18), toutes sections confondues. L’an passé c’était le doc Allende, mi abuelo Allende qui avait été choisi. Cette année le Jury présidé par Gianfranco Rosi, fils du grand cinéaste italien dont le  dernier documentaire, Fuocoammare a été sacré Ours d’Or à la Berlinale 2016, a choisi le film  Cinema Novo d’ Eryk Rocha, fils d’un autre grand cinéaste le brésilien Glauber Rocha. Il s’agit d’une évocation, sans aucun commentaire de ce mouvement cinématographique le plus important d’Amérique latine dans les années soixante.

« J’ai fait ce film à partir de mon histoire personnelle, mais aussi cinématographique et politique de mon pays. Dans le Cinema Novo, il y a une énergie créatrice très forte, une capacité d’imagination et de réflexion qui me parait importante pour aujourd’hui. Pas pour le reproduire parce que c’est impossible, mais pour son ouverture vers des chemins de réflexion sur le ciné. Ce cinéma était né d’un dialogue entre les générations. C’était une intersection entre poésie et politique. Pendant longtemps, il a été rejeté, déconsidéré alors qu’il était très riche et pouvait nous inspirer aujourd’hui. Heureusement depuis quelques années, il y a un renouveau du cinéma brésilien qui devient plus profond. Aujourd’hui des films ont disparu, beaucoup de cinéastes du Cinema novo sont morts, mais je connais presque tous ceux qui restent. Il y a 130 films cités plus des documents personnels et des archives, en particulier de l’INA en France. La construction du film vient de la force originale du Cinema novo, du dialogue entre les films. A partir de tous ces extraits, j’ai voulu créer un nouveau corpus cinématographique et de nouveaux sentiments. Le son essaie de créer l’unité et est aussi un contre point. Cela ne m’intéressait pas d’expliquer, de faire un film sur le passé historique. Ni nostalgique, ni idéaliste, le film veut capturer la force et l’énergie de ce cinéma. »

Propos recueillis par Alain LIATARD