Le cinéma latino était bien présent et vivant à Cannes 2016…

On ne connait souvent de Cannes que la montée des marches, les stars bien habillées couvertes de bijoux prêtés par les sponsors. Mais c’est là également que l’on cherche à vendre les films, créer des synergies, monter des projets, etc.

Le cinéma latino a fait sensation, même si au palmarès on ne trouve qu’une mention pour le court métrage brésilien A moça que dançou com o diabo (La Jeune fille qui dansait avec le diable) réalisé par João Paulo Miranda Maria où une jeune fille d’une famille très religieuse cherche son destin. Aquarius en compétition est un très beau film. Neruda de Pablo Larraín et Poesía sin fin d’Alejandro Jodorowsky ont fait sensation à la Quinzaine comme je l’ai dit la semaine dernière.

Après Les bruits de Recife, Kleber Mendonça Filho, nous propose dans Aquarius (c’est le nom de la résidence de Clara), le portrait de sa ville Recife, prête à tout démolir pour faire de beaux immeubles sécurisés et le portrait d’une femme de 60 ans, Clara, qui veut se battre pour garder son appartement et s’opposer aux jeunes promoteurs aux dents longues formés dans les écoles étatsuniennes. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, à son passé de critique musical, à ceux qu’elle aime et veut pouvoir vivre sa vie. « Le cauchemar de Clara est tout d’abord réel, précise le réalisateur. Il s’agit de se voir seule dans une situation très inconfortable, où elle subit une forte pression pour le simple fait d’être chez elle, là où elle a toujours habité. Elle a le sentiment que quelqu’un a subitement décidé que son espace n’a plus aucune valeur, qu’il est démodé et qu’on doit s’en débarrasser. Confrontée à des opinions contraires aux siennes, y compris au sein de sa propre famille, Clara craint, par moments, de perdre la raison. Son état d’esprit est fragilisé, ce qui ouvre la porte à des sentiments déstabilisants. J’aime l’idée que cela nous mène vers le mystère et le doute, comme un cauchemar lucide ».  Sonia Braga aurait vraiment pu prétendre au prix d’interprétation. Après  la Palme d’Or pour Ken Loach (I, Daniel Blake), le jury n’a peut-être pas voulu récompenser cet autre film social qui sortira fin septembre.

Quelques mots sur Julieta de Pedro Almodóvar. C’est un bon Almodóvar que l’on peut voir actuellement en salles. Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía la pousse à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía une semaine plus tôt. Le film est un va et vient entre aujourd’hui où Julietta est interprétée par Emma Suarez et treize ans plus tôt où elle est interprétée par une autre actrice Adriana Ugarte. Le passage du temps est aussi marqué par les décors très colorés des années 80, et plus sombres d’aujourd’hui. Le propos est celui du sentiment de culpabilité. On pense à La mort aux trousses d’Hitchcock et à ses actrices blondes.

Pour revenir au cinéma latino, trois films d’école ont été présenté à la Cinéfondation et le court métrage vénézuélien La culpa, probablemente (une histoire d’amour sans lendemain) réalisé par Michael Labarca (Universidad de Los Andes) a reçu le troisième prix des mains de la cinéaste japonaise Noami Kawase, présidente du Jury qui comprenait aussi Santiago Loza. Le comédien mexicain Diego Luna faisait partie du jury Un certain Regard présidé par Marthe Keller, où concourait le film argentin La longue nuit de Francisco Sanctis d’Andrea Testa et Francisco Márquez – un homme, sous la dictature, doit trouver deux personnes pour les avertir du danger d’être enlevés.

A la Fabrique des cinémas du monde, programme conçu par l’Institut Français deux jeunes réalisateurs accompagnés de leur producteurs sont venus défendre leur projets de premier ou second film sous l’œil de leur parrain le cinéaste chinois Jia Zhang-Ke. Maya Da-Rin (Brésil) proposait La fièvre et Gustavo Fallas (Costa Rica) Rio sucio. La semaine de la critique présentait un court du brésilien de Recife Fellipe Fernandes  O delírio é a redenção dos aflitos sur un immeuble prêt à s’effondrer. Le colombien César Augusto Acevedo, le réalisateur de La tierra y la sombra (2015) proposait Los pasos del agua, sur des pêcheurs qui trouvent un cadavre emmêlé dans leurs filets, et un programme montrait des films courts mexicains du festival de Morelia, dont El buzo, un documentaire remarquable sur un plongeur dans les eaux usées de Mexico City.

Eryk Rocha, le fils de Glauber Rocha a réalisé un très beau film sur le cinema novo, cette période des années soixante où le cinéma brésilien était riche, novateur, poétique et politique. C’était le mouvement cinématographique le plus important d’Amérique latine. Il a gagné L’œil d’or du documentaire du Festival. Nous avons rencontré le réalisateur et nous y reviendrons dans une prochaine newsletter. Enfin pour prendre l’exemple de la délégation chilienne, elle comprenait plus de cinquante personnes et présentait soixante-dix projets. Neruda est déjà vendu dans une quarantaine de pays. Le Chili a noué à Cannes des liens avec l’Argentine, le Brésil, l’Italie, la Belgique et la Croatie. Oui Cannes est le plus grand Festival de cinéma du monde.

Alain LIATARD