Élections présidentielles au Pérou : une campagne d’une exceptionnelle complexité… À suivre

Ce 10 avril 2016, les Péruviens – qui ont l’obligation de se rendre aux urnes – voteront pour le premier tour des élections présidentielles. Le deuxième tour, selon toute vraisemblance nécessaire, aura lieu le 5 juin. Le mandat de l’actuel président Ollanta Humala, prendra fin le 28 juillet 2016.

La cote de popularité de l’actuel président est au plus bas, de l’ordre de 20 % au printemps 2015. Les raisons invoquées en mars 2015 par El Comercio, quotidien péruvien, sont : l’augmentation de la délinquance et de l’insécurité, les programmes sociaux insuffisamment réalisés et la corruption. La croissance économique a ralenti depuis son arrivée au pouvoir. En 2010, elle s’élevait à 8 %, puis a diminué à 6 % en 2012 et s’est effondrée à 3,6 % en 2014. Son épouse est également très impopulaire, soupçonnée de blanchiment d’argent.

Les candidats

En date du 18 janvier, dix-neuf candidats se sont fait connaître (un record !), qui ont participé, en deux séances compte tenu de leur grand nombre, au premier débat présidentiel organisé par le CPP (Comité des journalistes du Pérou) et le CAL (Comité des avocats de Lima), les 11 et 12 février 2016, dans les locaux du théâtre Mario Vargas Llosa, à la Bibliothèque nationale du Pérou de San Borja.

Le jeudi 11 février ce sont César Acuña (Alianza para el Progreso), Alejandro Toledo (ex-président du 28 juillet 2001 au 28 juillet 2006), Keiko Fujimori (fille de l’ex-président Alberto Fujimori), Fernando Olivera (Frente Esperanza), Nano Guerra García (Solidaridad Nacional), Ántero Flores-Aráoz (Partido Popular Cristiano), Yehude Simon (Movimiento Humanista Peruano), Francisco Diez Canseco (Perú Nación) et Miguel Hilario (Progresando Perú) qui sont intervenus.

Et le vendredi 12 ont participé Pedro Pablo Kuczynski (Alianza por el Gran Cambio), Alan García, ancien président 1985-1990, et 2006-2011 (Partido Aprista Peruano), Verónika Mendoza (Frente Ámplio), Julio Guzmán (Todos por el Perú), Renzo Reggiardo (Perú Patria Segura), Alfredo Barnechea (Partido Acción Popular), Vladimir Cerrón (Perú Libertario), Daniel Urresti (Partido Nacionalista Peruano, le parti du gouvernement actuel) et Felipe Castillo.

Les pronostics – Jusqu’au 10 mars 2016

Keiko Fujimori, fille de l’ex-président Alberto Fujimori, âgée de 44 ans, est accréditée de 33 % à 35 % d’intentions de vote depuis décembre 2015. En fait, depuis plus d’un an la candidate du parti Force populaire est stable dans les sondages, essentiellement soutenue par les plus pauvres des zones rurales et des périphéries urbaines. Elle est donc leader pour le premier tour des présidentielles. Bien que son père, l’ex-président Alberto Fujimori (1990-2000) – sous le mandat duquel elle avait la fonction de première dame -, accusé du massacre de Barrios Altos, de violations des droits de l’homme et de corruption, se soit exilé pendant six ans avant d’être extradé vers le Pérou et condamné, en 2009, à 25 ans de prison. Elle a été élue au Congrès en avril 2006 et a été battue de justesse par Ollanta Humala aux élections présidentielles de 2011.

Loin en deuxième position et jusqu’au 1er février 2016 se trouvaient à égalité l’homme d’affaires et ex-gouverneur du département de la Liberté, César Acuña, 63 ans, avec 13 %,  et l’économiste et ex- ministre Pedro Pablo Kuczynski, âgé de 77 ans. Alan García, leader du Parti apriste péruvien (PAP, social-démocrate), et ex-président (1985-1990 et 2006-2011) était en quatrième place avec 8 %.

L’économiste Julio Guzmán, 45 ans, de Tous pour le Pérou, inconnu en politique et devenu leader sur les réseaux sociaux, se positionnait en cinquième place avec 5 %, mais, coup de théâtre, il est passé en seconde position derrière Keiko Fujimori dans un sondage  GFK publié le 1er février 2016, position qu’il a maintenue jusqu’à son exclusion. Cette progression surprise capitalisait sur le ras-le-bol, surtout chez les jeunes, de la classe politique. Ainsi la campagne pour les élections présidentielles du 10 avril était-elle dominée par la lutte serrée pour la deuxième place au second tour, face à Keiko Fujimori largement en tête selon les sondages, entre Guzmán, Acuña,  et Kuczynski, et éventuellement García, deux mois avant les élections.

  • Après le 10 mars 2016

Nouveau coup de théâtre : à un mois des élections, la justice électorale péruvienne a mis deux candidats à l’écart, dont Julio Guzmán, devenu l’unique rival de Keiko Fujimori. En effet, le Tribunal national des élections a rejeté la candidature de Guzmán pour des erreurs administratives, en reprochant au parti Tous pour le Pérou d’avoir “manqué à ses propres règlements dans son processus de désignation de Julio Guzmán”.

Il a aussi rejeté la candidature du millionnaire et ancien gouverneur, César Acuña, coupable d’avoir distribué de l’argent à des marchands de rues et à un jeune handicapé lors d’un meeting. “Un geste humanitaire” selon le candidat, “une conduite interdite de prosélytisme” pour le tribunal. Acuña serait par ailleurs accusé de plagiats d’un livre complet et d’autres extraits dans ses thèses, qui lui ont permis d’obtenir le titre de docteur de l’Université Complutense de Madrid (UCM), et un master à l’université de Lima et à l’Université des Andes de Colombie. L’exclusion de Guzmán, qui ouvre un boulevard à Keiko Fujimori, a bien sûr déclenché une vive polémique au Pérou.

Le suspense ne s’arrêtant pas là, deux autres demandes d’exclusion ont été formulées contre Keiko Fujimori et Pedro Pablo Kuczynski, pour les mêmes raisons de prosélytisme. Mais le Tribunal national des élections a rejeté ce 1er avril les accusations faites à l’encontre de Keiko Fujimori d’avoir distribué de l’argent, lui permettant de poursuivre sa campagne et sa course à la présidence.

  • À deux semaines des élections

En date du 27 mars 2016, un sondage IPSOS attribue 32,1% des intentions de vote à Keiko Fujimori, 16 % à Pedro Pablo Kuczynski (libéral de droite) 12,1 % à Verónika Mendoza (gauche), 11,1 % à Alfredo Barnechea (social-démocrate), et 6,2 % à Alan García qui n’aura donc pas “décollé” durant cette campagne.

Verónika Mendoza, âgée de 35 ans, est franco-péruvienne de par sa mère. Elle est tête de liste du parti de gauche Frente Ámplio. Celle qui fut étudiante à l’Université Paris VII, obtenant une licence de psychologie, a gravi les échelons au sein du Parti nationaliste péruvien affilié à l’actuel pensionnaire du palais présidentiel, Ollanta Humala. En 2011, elle était élue parlementaire pour la très touristique circonscription de Cuzco. En 2012, elle a quitté la formation présidentielle et posé les jalons du Frente Ámplio.

Classée à gauche de la gauche sur l’échiquier politique péruvien, la candidate Mendoza dénote totalement dans le paysage politique. Elle appelle notamment à la rédaction d’une nouvelle Constitution, qu’elle considère “être le produit de la dictature”, une Constitution “fruit du débat et du consensus représentant le peuple péruvien”. Veronika Mendoza entend faire en sorte que l’État reprenne l’ensemble des ses prérogatives régaliennes, trop longtemps abandonnées. État fort et moderne, garantie du respect des droits des citoyens, laïcité, lutte contre la corruption, planification dans le développement économique ou encore le respect des écosystèmes et de l’environnement, sont autant d’ancrages forts dans les propositions politiques de la leader du Frente Ámplio.

Alfredo Barnechea, 63 ans, du parti Acción Popular se présente comme un candidat de l’avenir, “qui va faire du Pérou un pays industrialisé en un seul mandat”. Il se décrit comme un candidat indépendant des classes politique et des puissances économiques du pays. Il est consultant international, journaliste, écrivain et donc homme politique.

  •  À quelques jours des élections

Les Péruviens connaissent donc depuis peu les candidats pour lesquels ils vont pouvoir voter… Ils  voteront sans trop de convictions alors que la classe politique peine à s’extraire du cercle infernal des scandales politico-financiers. En attendant, la seule chose de sûre au Pérou, c’est que les choses se passent rarement comme on les attend…. Le 5 avril, une grande marche a été lancée pour dénoncer la candidature de Keiko Fujimori, qui, malgré les accusations à son égard n’a pas été sanctionnée par le Tribunal national des élections, contrairement à deux autres candidats de droite, dont les candidatures au processus général, ont été annulées.

  • Qu’en sera-t-il du second tour ?

Même si Keiko Fujimori semble favorite, nombreux sont ceux qui ne voteront pour Keiko Fujimori sous aucun prétexte. Entre autres, Mario Vargas Llosa qui a déclaré devant la télévision locale América le 28 février que la candidate “avait été une fille très docile, qu’il n’avait jamais vu prendre de distance par rapport à tous les abus de son père”, et que le triomphe de Keiko serait “la revendication d’une dictature, probablement la plus corrompue du Pérou”. Il est possible que tous les candidats restants se liguent contre elle. Mais, comme d’habitude au Pérou, tout peut arriver.

Catherine TRAULLÉ