“Le Sentier Lumineux, chroniques des violences politiques au Pérou”

Période cruciale de l’histoire récente du Pérou, les années 1980 ont été marquées par de violents affrontements entre le Sentier Lumineux d’un côté – groupuscule terroriste d’inspiration maoïste – et l’armée et la police de l’autre. Dans Le Sentier lumineux – Chroniques des violences politiques au Pérou (éd. L’Agrume) Jesús Cossío, Luis Rossell et Alfredo Villar, trois auteurs péruviens, illustrent ces années de guerre sale, de ses balbutiements jusqu’au paroxysme de la répression, pour mieux analyser les conséquences dramatiques sur les populations civiles. Un album artistique et documentaire admirable et magistralement ficelé.

Le Sentier Lumineux est une scission du Parti communiste péruvien, créée au début des années 70, au sein de l’Université nationale de San Cristóbal de Huamanga par le professeur de philosophie Abimael Guzmán, futur leader du mouvement. Grâce à son charisme, il parvient à faire adhérer à son mouvement de nombreux étudiants et hommes du peuple. Opposée au parti officiel jugé trop laxiste, l’idée d’un communisme actif et revendicatif progresse au milieu des années 70 et se renforce avec la création d’écoles publiques dans la région de Ayacucho, qui forme dès leur plus jeune âge les futurs révolutionnaires. Au début de la décennie suivante, l’organisation expose ses règles qui deviendront très vite celles de la lutte armée. Le mouvement passe véritablement à l’action à l’aube de l’année 1980 lorsque des hommes envahissent le petit village de Chuschi, à deux jours des élections, et brûlent les urnes et les listes électorales. Le groupuscule terroriste commence à exproprier des haciendas, à exécuter de grands propriétaires et à prendre le contrôle de villages entiers.

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L’ouvrage s’évertue à décrire avec précision cette période sans prendre parti, mais en démontrant avec habileté et précision les atrocités perpétrées et les dégâts humains engendrés par cette guerre intestine. Le propos du livre est de sortir du silence les aspects les plus odieux de cette guerre en donnant la voix à ceux qui n’en ont pas. Sous forme de mini-récits rassemblés en chapitres, les auteurs présentent les faits principaux de la lutte entre le Sentier Lumineux et la junte militaire péruvienne, vite dépassée par les événements et qui commit, en toute impunité, toutes sortes d’exactions sous prétexte de lutter contre le terrorisme. Le récit ne met pas en avant les grands hommes mais s’attache au contraire à faire ressortir les conséquences du conflit sur les populations pauvres, notamment celles de la région de Ayacucho. La force de ce livre est bien de placer la population civile au cœur du récit, et de montrer par des dessins sombres et dérangeants toute l’horreur des exécutions et des tortures. Les traits, essentiellement noirs et blancs, retranscrivent remarquablement les expressions de colère ou de panique sur le visage des victimes, tandis que l’irruption récurrente de la couleur rouge illustre le sang déversé et le drapeau communiste.

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Le triste bilan de cette lutte armée fait état de plus de 70 000 morts, de 4 000 fosses communes clandestines, de centaines de personnes disparues, torturées et exécutées. Les premières victimes sont des populations indiennes et paysannes qui vivaient dans les Andes, des personnes désarmées, des enfants, ou des femmes. Prises entre deux camps – entre les terroristes et les forces armées –  elles perçurent la présence de l’organisation comme une menace pesant contre leur communauté. “Invisible” aux yeux des médias et de la classe politique de par leurs modestes conditions et leur isolement géographique, le sort de ces populations a bien souvent été ignoré et la majorité des crimes restent encore impunis. Malgré la Commission de la vérité et de la réconciliation, des familles cherchent encore leurs morts et demandent des enquêtes pour que justice soit faite.

Avec cet ouvrage, les auteurs affirment leur volonté de se rapprocher de la vérité, du terrain, afin de permettre aux populations les plus pauvres de faire leur devoir de mémoire et d’accomplir le deuil d’une époque sombre et encore trop présente dans les esprits. Conscient de la force politique que peut acquérir la bande-dessinée, les auteurs “participe[nt] à une série d’initiatives […] qui vient s’ajouter à l’effort national qui est fait pour que toutes les vérités sur ce thème soient connues, et pas seulement la vérité officielle”1.

Vaiana GOIN

1 | LesInrocks.com
Le sentier lumineux, Chroniques des violences politiques au Pérou, de Jesús Cossío, Luis Rossell et Alfredo Villar, traduit de l’espagnol (Pérou) par Hélène Harry, éd. L’Agrume, 216 p., 22 €. SITE.
Photos : © L’agrume