Du réalisateur Atahualpa Lichy après les élections au Venezuela

Cinéaste vénézuélien, Atahualpa Lichy arrive à Paris en 1956, époque à laquelle il fera la rencontre de Henry Langlois, fondateur de la cinémathèque française. Après un long détour par Paris, il reviendra ensuite à son pays natal où il tournera son premier long-métrage Río Negro. Suite aux résultats des élections législatives au Venezuela ouvrant la voie à l’opposition, il nous livre ses impressions à chaud.

 

Bonsoir,

 Voici chers amis, quelques nouvelles.

Nous avons aujourd’hui des sentiments partagés. Curieusement nous 
avions ce jour deux élections importantes dans nos deux pays. Pour la France, nous sommes très tristes et surpris. Ce n’est pas ce 
que nous espérions, loin de là, même si nous n’étions pas trop
 optimistes. Nous espérons qu’entre les deux tours la sagesse
 républicaine permettra un barrage à ce danger lepéniste.

 Pour le Venezuela, c’est tout le contraire : ce que nous ne pouvions
imaginer, non pas par le sentiment que nous avions, mais par 
l’incroyable abus des télévisions, radios, cadeaux du gouvernement 
populiste et autoritaire (faussement de gauche) et le contrôle qu’il a 
sur tous les pouvoirs et médias, mais l’incroyable, l’impensable est
 arrivé : le vote contre le gouvernement a été tellement massif, qu’ils 
n’ont rien pu faire pour truquer les résultats. Pour le moment, 99
 députés pour l’opposition (aujourd’hui majorité) et 46 pour le 
gouvernement, mais les estimations sont plutôt à 113 pour l’opposition, c’est-à-dire qu’avec une majorité de plus des 3/5e , la nouvelle majorité pourrait
 empêcher certaines lois, libérer les prisonniers politiques, contrôler 
les dépenses de l’État, espérons aussi, relancer l’économie, etc.
 Contrairement à certaines idées reçues, et à ce que disent certains
 journalistes, l’opposition n’est pas la droite : c’est une unité de la
gauche traditionnelle, le centre gauche et le centre droite, avec un
 véritable sentiment démocratique.
Ce ne sera pas facile, le pays est ruiné, l’économie complètement 
cassée, la production d’aliments détruite, tous les autres pouvoirs 
entre les mains du gouvernement, etc. On continuera à faire des heures 
de queue pour acheter 1 ou 2 kilos de riz (le jour où on aura de la 
chance, car on peut passer deux ou trois mois sans en trouver) ou du 
papier toilette, ou du sucre… il faudra lutter pour arrêter 
l’inflation qui atteint plus de 200 %.
 Malgré tout cela, un immense espoir, une joie : le résultat des
élections a été annoncé à minuit et demie (on devait l’annoncer vers
 22 h) et à la seconde où l’annonce a été faite, on a entendu un 
immense cri de joie venant de tous les appartements, des feux 
d’artifice, des pétards, on ne s’entendait plus : je n’avais jamais vu 
cela, aussi spontané à une telle heure.
 Au Venezuela, ce n’est pas comme en France, le président continuera à
 gouverner avec ses ministres. Il n’est pas obligé de former un
gouvernement avec la nouvelle majorité. Il n’y a pas de cohabitation. 
Nous sommes tristes et en colère pour la France et heureux et pleins
 d’espoir pour le Venezuela : c’est vraiment une drôle de journée ! 

Beaucoup d’entre vous connaissez le Venezuela, pour y avoir vécu,
 parfois il y a quelques années (c’était un autre Venezuela) certains
 sont venus il y a peu, d’autres ne sont jamais venus, mais ont
 souvent entendu parler de mon pays. C’est pour cela que j’ai voulu
partager à chaud, certaines impressions.

Amicalement,

 

Atahualpa
 LICHY

Servicio Paz y Justicia.