Entretien avec le cinéaste guatémaltèque Jayro Bustamante

Ixcanul, film guatémaltèque en salle ce mercredi 25, est le premier long métrage du réalisateur Jayro Bustamante, né au Guatemala en 1977. Ixcanul raconte l’histoire d’une jeune maya de 17 ans qui vit avec sa famille dans une plantation au pied d’un volcan en activité. Un mariage arrangé l’attend mais elle voudrait partir aux États-Unis avec Pepe. Or celui-ci part seul et l’abandonne enceinte. Piqué par un serpent, elle est conduite à l’hôpital, elle accouche prématurément, mais n’arrive pas à voir son bébé.

Nous avons eu l’occasion de rencontrer Jayro Bustamante lors du festival Cinelatino de Toulouse, le 26 mars 2015. Le film y a obtenu le Prix du public et le Prix découverte de la critique française, après avoir gagné l’Ours d’Argent du premier film au festival de Berlin. Il sort en France ce mercredi 25 novembre.

J’avais fait une école Montessori quand j’étais petit et j’ai appris le français et l’italien et alors je pense que l’Europe était liée à moi, et l’idée de faire du cinéma à Paris était important. J’ai passé presque 17 ans partagé entre les deux pays, mais maintenant je vis plutôt au Guatemala. J’ai fait trois courts métrages qui ont fait les festivals. Le dernier a été le saut pour le long métrage. Je suis allé le tourner au Guatemala et je me suis trouvé dans la même situation que pour le long métrage. J’ai amené presque toute l’équipe française, la pellicule et la caméra de France et si la caméra tombait en panne, on n’avait pas de quoi la remplacer. Pour la pellicule, le labo le plus près était à Mexico. On a donc tourné à l’aveuglette et avec un budget très précaire, mais cela m’a servi d’école et de soudure pour l’équipe. Mais c’était tellement de travail, de passer toute une année pour faire un autre court que j’ai décidé qu’il fallait mieux passer au long.

D’où vient l’idée de faire un film sur une femme maya qui vit sur les contreforts d’un volcan ?

L’idée, pour faire mon premier long métrage, n’a été ni mesurée ni programmée. J’ai un autre projet que je développe toujours, c’est simplement que la rencontre avec la vraie María a créé un besoin qui a contaminé toute mon existence. C’est pour cela qu’on l’a fait avec cette urgence, cette ferveur. Et le fait que ce soit une femme maya, c’est son histoire. J’ai grandi dans une région où, dans le village où je vivais, 80% de la population était maya. Je suis ensuite parti dans la plantation de café de mon grand-père en vacances, où là, il y avait des travailleurs mayas mais moins que chez moi. Mais en revanche j’ai appris la vie de la ferme et la vie des plantations. Sur les pentes du volcan, la terre est très fertile, il faut juste espérer que le volcan ne fasse pas irruption et ne détruise la récolte. Le Guatemala est une terre volcanique avec 300 volcans dont 33 sont actifs.

Et il y a beaucoup de serpents ?

Oui, il y en a beaucoup, mais il y a aussi un mythe, aussi bien dans les Caraïbes qu’en Amérique latine, que la femme porte la lumière en elle et éloigne les serpents.

Les rapports au sein de la famille ?

J’ai travaillé sur l’amour, et je voulais le montrer dans la famille, même si c’est parfois avec rudesse.

Et la construction du film avec beaucoup de plans fixes, surtout au début ?

Je suis parti de la fin de l’histoire, et la question que je me posais est comment on arrive à être une victime parfaite et je suis parti à la recherche dans le passé. Pour moi, c’était un crescendo dans l’histoire, car je ne voulais pas faire un film ethnographique sur les mayas. Je voulais faire un cinéma-réalité contemplatif, mais je n’avais pas compris la cadence de cette caméra fixe qui allait elle aussi s’accélérer avec le son. Il y a un travail du son très important, qui était écrit dès le commencement.

Le problème des enlèvements d’enfants à la clinique ?

On a fait signer à María la réception du corps mort de l’enfant. La vraie María a signé l’acte de décès et elle a passé presqu’un an dans une espèce d’autisme parce qu’elle n’avait pas vu le bébé. On lui avait dit que l’enfant était déformé, mais elle n’a pas vécu l’épisode du serpent – ça me servait moi pour unir tous les rites, mais elle avait essayé d’avorter. Elle voulait quand même le voir. Et quand elle l’a déterré, elle a trouvé une brique à la place. Et là, elle est allée porter plainte et on l’a inculpé de l’avoir vendu. Il y a au Guatemala une alerte, un signal que l’on doit allumer aussitôt qu’un enfant a disparu. En fait, on demande de ne pas trop l’allumer pour faire baisser l’indice d’enfants disparus. Puis on l’a relâchée. Quand je l’ai rencontrée, elle avait quelque chose de très beau, l’espoir qu’il n’avait pas été vendu pour le trafic d’organe, qu’il était vivant. Elle n’a pas voulu d’autres enfants et aujourd’hui à quarante ans, elle vit seule. À un moment, à l’hôpital tout le monde était complice : les médecins, les infirmières, les gardiens, les policiers. Il y a même le cas d’un avocat qui travaillait à l’UNESCO, et qui a été décoré parce qu’il facilitait les adoptions. Il a même fait sortir du pays des enfants, sans signer l’acte d’adoption, avec seulement un passeport touristique. Et il disait aux parents canadiens qu’une fois au Canada, le visa terminé, ils pourraient adopter car on ne pourrait expulser les enfants. Mais je voulais raconter l’histoire de María, plus que les vols d’enfants et cela ne me permettait pas de rentrer dans tous ces détails.

Il y a autant de difficultés de langues dans les hôpitaux ?

Une grande partie de la population maya est bilingue, mais il y a les autres, ceux qui travaillent pour les autres, qui n’ont pas de terre, et même entre eux ils ne se comprennent pas. Cc’est donc la majorité d’un pays qui n’a pas les codes de la minorité qui gouverne. Même pour mes acteurs qui étaient tous bilingues, certains auraient eu de difficultés à traduire en espagnol pour des étrangers. C’est un problème très fort.

Les acteurs sont-ils professionnels ?

La mère est professionnelle – car je pense qu’être comédien est inné, mais au Guatemala, il n’y a pas vraiment de formation de comédien – elle vient d’une troupe de théâtre militant, pour les enfants, pour les indigènes, pour les femmes, et celui qui joue le personnage de Pepe fait parti de la même troupe. Tous les autres sont des gens du village très intéressés par l’art, très mêlés à une vie culturelle dans leur communauté avec de l’envie et du talent. On a travaillé trois mois avant de tourner. On se voyait tous les jours.

La scène du repas pour préparer le mariage est très belle !

Il y a un terme en langue maya cakchiquel qui décrit la femme qui est la première dame, le terme “kululula”. Elle est cette femme qui reçoit, qui donne à manger, qui offre à boire et donne le mieux qu’elle peut. J’ai beaucoup travaillé avec les deux familles séparément, mais ensemble on n’a peu travaillé. De plus, le père d’Ignacio commençait à avoir des problèmes d’Alzheimer, c’était assez beau de voir comment tous les comédiens le soutenaient. C’était une scène qui me faisait peur, mais je crois qu’elle est réussie.

Combien de temps a duré le tournage ?

Le tournage a duré six semaines. On a été cinq mois sur place parce qu’on venait tous d’ailleurs. Il fallait s’installer et tout construire car il n’y a pas un seul décor qui soit vrai. J’ai passé trois mois avec les comédiens et deux mois avec l’actrice. Et deux mois auparavant, j’avais fait des ateliers avec des femmes, des ateliers d’expression parce que j’utilisais les techniques du théâtre pour que les femmes puissent venir se retrouver dans un espace et parler de leur problématique en utilisant les personnages. Je pensais pouvoir trouver chez ces femmes-là mes comédiennes. Mais non ! Cela m’a cependant beaucoup aidé pour peaufiner le scénario.

On ne voit pas la tête du volcan dans le film ?

Non. On a beaucoup parlé de cela avec mon directeur de la photo, qui est franco-vénézuélien. Il faut faire très attention aux endroits pièges que l’on trouve pour tourner. On allait à un endroit et l’on faisait la meilleure photo de carte postale que l’on pouvait. À partir de là, on cherchait la direction opposée car nous voulions le côté réel à tout prix.

La presse a-t-elle bien accueilli le film à Berlin ?

Le jour de la projection de presse, les gens se sont levés, ont applaudi, c’était l’ovation. Je me disais que c’était toujours comme cela, mais non ! On a été très bien reçu, mais on n’a pas été gâté, on a été reconnu. C’était notre première fois, le premier festival. J’avais la chance d’être avec les deux comédiennes. Dans le travail, on s’était fait une promesse entre nous, dans l’équipe et on s’était dit qu’on allait tous travailler pour que personne n’ait honte. Et María m’a dit “moi, je suis bien”.

Et vos projets ?

J’ai un projet en tête depuis quelque temps. C’est une histoire qui me tient à cœur, mais on m’interdit d’en parler. Et j’ai toujours mon projet, “L’escadron de la mort”, qui a fait pas mal de festivals en développement, et qui a gagné quelques prix. C’est un projet ambitieux. On ne se presse pas pour le faire. On se laisse le temps pour trouver le financement et le faire bien. Et entre-temps, il y a d’autres histoires qui me tiennent à cœur, qui demandent moins de moyens et que je pourrai tourner au Guatemala.

Propos recueillis par
Alain LIATARD

Bande annonce Allo Ciné