“L’extinction des coléoptères”, du chilien Diego Vargas Gaete

Le titre déjà intrigue : un roman sur des bousiers ou des lucanes ? Que va-t-on bien pouvoir raconter sur un tel sujet ? Comme il ne faut jamais se fier aux apparences, on se rendra vite compte que, si les coléoptères sont bien présents au long du récit, Diego Vargas Gaete, né au Chili en 1975, a une tout autre ambition : faire vivre sous nos yeux une région chilienne, au sud de Santiago, l’Araucanie depuis l’arrivée des premiers colons allemands.

Dès le milieu du 19e siècle, cette région a attiré de nombreuses familles allemandes, car ses paysages et son climat pouvaient leur rappeler la patrie lointaine. À la fin de la deuxième guerre mondiale, d’autres “colons” qui ont quitté l’Europe après la défaite des nazis les ont rejoints. C’est d’une de ces familles dont parle l’auteur, et il le fait d’une manière extrêmement originale, avec de très courts paragraphes, sans liens apparents entre eux : on se trouve en 1850 ou en 2036, dans une ville allemande, dans un collège allemand, ou même dans une capsule spatiale. Parfois le surréalisme affleure. Pourtant les liens existent, ils se font de plus en plus évidents au cours du récit. L’axe central est un personnage, Silvana Kunz, actrice et témoin, qui, du haut de ses quatre-vingt-douze ans, a pu acquérir une vision complète de cette réalité. Elle peut ainsi raconter ‒ et plus encore taire, tout n’est pas bon à être exposé !‒ ces décennies pendant lesquelles s’est forgée cette particularité chilienne, la cohabitation de deux cultures plutôt éloignées l’une de l’autre qui rend plusieurs régions voisines aussi singulières.

Forcément il arrive qu’on se perde un peu, si l’on cherche à trouver un fil logique à l’histoire racontée, mais ce flou, soigneusement entretenu par Diego Vargas Gaete, est un élément de plaisir offert au lecteur : ce fil logique existe, il est simplement caché par les sautes temporelles et par la multiplicité des points de vue. Il faut savoir se laisser porter, et on profitera de ce délire calculé, on se laissera surprendre en permanence. Et surtout, au-delà de ces surprises, on découvrira une réalité historique et sociale assez peu connue hors du Chili. Voilà un roman qui décoiffe ! Et qui forcément surprendra, dans le meilleur sens du terme.

Christian ROINAT

L’extinction des coléoptères, de Diego Vargas Gaete, traduit de l’espagnol (Chili) par Julia Cultien, éd. L’Atelier du tilde, 132 p., 16 €.
En espagnol : La extinción de los coleópteros, Momofuku, Buenos Aires.