Mort en prison du général Manuel Contreras, chef de la police secrète de Pinochet

Symbole de la répression du régime militaire du général Pinochet, le général Manuel Contreras avait accumulé 540 années de prison pour les crimes contre l’humanité commis durant la dictature. Il meurt en prison le 7 août 2015. Retour sur son histoire et son rôle au sein de la DINA.

Considéré comme le bras droit du général Pinochet, le général Manuel Contreras Sepúlveda, connu comme le Mamo, avait dirigé la DINA (Dirección de Inteligencia Nacional), sa police secrète, pendant les premières années de la dictature. Dès la fin de celle-ci, il est accusé de crimes contre l’humanité qui lui valurent 59 procès et 540 années de prison. Contreras n’aura accompli que 17 ans de détention (le même nombre d’années qu’a duré la dictature) avant de mourir de complications rénales le 7 août dernier à l’Hôpital militaire de Santiago. Il a été incinéré le samedi 8 au cimetière catholique de Santiago, en présence de quelques membres de sa famille, sans honneurs militaires ni funérailles nationales.

La DINA a tué et torturé des milliers de personnes

Contreras entre à l’École militaire en 1944. Sa bonne conduite le mène à être chargé de la surveillance des nouveaux arrivés où il se distingue par ses abus de pouvoir, son arrogance et (déjà) un certain sadisme. En 1953, il entre à l’Académie de guerre pour suivre le cours d’officier d’État-major. Il se lie vite d’amitié avec le sous-directeur de l’institution, un certain colonel Augusto Pinochet. En 1973, le colonel Contreras est le commandant de la base militaire de Tejas Verdes. On y enseigne les techniques de lutte anti-subversive apprises à l’École des Amériques aux États-Unis et au Panama.

Après le coup d’État du 11 septembre 1973 contre le président Allende, le général Pinochet le charge de créer et diriger la DINA, une police politique, principal agent de la répression dictatoriale. Tejas Verdes devient un centre de tortures. La DINA ouvrira des dizaines de centres de tortures dans tout le pays. En trois ans, des centaines de membres de partis politiques ou d’organisations syndicales, paysannes, étudiantes, artistiques et même militaires et religieuses, sont assassinés ou faits disparaître. La DINA a également organisé des attentats contre des responsables politiques à l’étranger, tels que ceux contre Orlando Letelier, ministre de la Défense de Allende, réfugié à Washington, contre l’ancien vice-président de la République, le démocrate chrétien Bernardo Leighton à Rome et même contre le prédécesseur du général Pinochet à la tête de l’armée chilienne, le général Carlos Prats exilé à Buenos Aires.

Les excès de la DINA obligent Pinochet à la dissoudre. Il force Contreras à prendre sa retraite. En 1977, la DINA est remplacée par la CNI (Central Nacional de Informaciones). On estime que ces deux polices secrètes ont tué ou fait disparaître plus 3 200 opposants. La Commission Valech sur la prison politique et la torture (2004 et 2011) recevra des dizaines de milliers de témoignages des tortures infligées aux opposants de la dictature. Elle en reconnaîtra officiellement plus de 40 000… On estime que le chiffre réel s’approcherait du double… (1) La très grande majorité des victimes sont tombées durant les années DINA.

Des déclarations fracassantes

Alors que les preuves de la brutalité de la répression suivant le coup d’État sont accablantes, Contreras a toujours nié avoir donné les ordres. Quelques exemples de sa mauvaise foi : “Il n’y a pas eu de violation des droits humains durant le régime militaire… Je n’ai jamais ordonné de tuer qui que ce soit. Dans l’armée chilienne, on ne donne pas l’ordre de tuer des gens qui ne sont pas des terroristes. Je n’ai jamais donné l’ordre de faire disparaître quelqu’un…”  Son travail ? “La DINA n’a jamais pourchassé des gens pour leurs idées. Elle pourchassait les terroristes…”  Il n’hésite pas non plus à ouvrir le parapluie : “Le général Pinochet savait tout ce que faisait la DINA. Il était en fait le chef de la DINA…” (2)

Des procès retentissants

Depuis la fin de la dictature (mars 1990), les familles des victimes et les organisations de défense des droits humains luttent contre l’impunité qu’un décret d’auto-amnistie de Pinochet avait octroyée en 1978 à ses agents pour tous les actes commis de 1973 à 1978. En 1995, cinq ans après la fin de la dictature, la pression de la société civile au Chili, des organisations de défense des droits humains à l’étranger et surtout des États-Unis qui réclament l’extradition de Contreras pour la mort de Ronnie Moffit, l’assistante états-unienne d’Orlando Letelier dans l’attentat de Washington, obligent le gouvernement chilien à ouvrir une procédure légale contre le général pour cet attentat. C’est le premier grand procès contre Contreras. Il est condamné à 7 ans de prison. Son arrestation donne lieu à d’étonnantes scènes de liesse populaire, véritable catharsis après 17 années de dictature et cinq années d’impunité en démocratie. Depuis, les procès se sont succédé et les condamnations pour enlèvements, détentions illégales, tortures, assassinats et disparitions de milliers de personnes ont abouti à 540 années de prison.

À quand la fin du “pacte du silence” des militaires ?

Pour Jorge Burgos, ministre de l’Intérieur du gouvernement, Contreras fut “un des personnages les plus obscurs de l’histoire du Chili. Il laisse derrière lui douleur et souffrance pour des milliers de personnes”. L’association Londres 38, du nom de l’adresse d’un ancien centre de tortures de la DINA devenu espace de mémoire à Santiago, “regrette qu’il ait choisi de garder le silence sur le sort et les circonstances de la mort de disparus et de victimes d’assassinats commis par ses agents”. L’association estime que “les autorités politiques ont la responsabilité historique de mettre fin à l’impunité et de prendre les mesures nécessaires pour que les membres actuels des Forces armées, de la police et des services secrets remettent à la justice toute l’information en leur possession sur la répression… et de décider que ceux qui ont des informations soient libérés du pacte du silence en vigueur.”

Le mois dernier, un ancien conscrit du temps de la dictature a brisé le mur du silence en révélant les mensonges que les officiers supérieurs ordonnaient aux soldats de déclarer à la justice dans le cas connu comme “le dossier des brûlés vifs” (3). Peut-être est-ce le début de la fin de l’omerta militaire sur les atrocités commises par la dictature… La sénatrice Isabel Allende, présidente du Sénat et fille de Salvador Allende (4), a récemment déclaré qu’elle allait déposer un projet de loi pour que tout militaire ayant été condamné pour violation aux droits humains soit dégradé, y compris à titre posthume. Comme un défi à cette proposition, la famille du général l’a fait incinérer revêtu de son plus bel uniforme militaire.

Jac FORTON

(1) Un décret du président socialiste Ricardo Lagos interdit à la Commission de dévoiler le nom des tortionnaires pendant 50 ans !
(2) Citées par le journal La Nación du 7 août 2015.
(3) Deux jeunes gens brûlés vifs par une patrouille militaire lors de la grève générale du 2 juillet 1986, puis abandonnés dans un terrain vague près de l’aéroport. Rodrigo De Negri meurt de ses blessures, Carmen Gloria Quintana survit brûlée à plus de 60 %. Les révélations de Fernando Guzman, conscrit à l’époque et membre de la patrouille, permettront de rouvrir le dossier.
(4) Ne pas confondre avec l’écrivaine Isabel Allende, fille d’un cousin de l’ancien président.