L’ancien chef de la police guatémaltèque condamné en appel en Suisse

De double nationalité suisse et guatémaltèque, Erwin Sperisen était accusé par un collectif d’ONG d’avoir ordonné des tortures et des exécutions extra-judiciaires de paysans et de prisonniers de droit commun lorsqu’il était le chef de la police nationale guatémaltèque. En 2008 et 2009, plusieurs ONG suisses s’unissent pour aider les familles des victimes de deux épisodes de répression, les dossiers Infiernito et Pavón et déposent une plainte devant les tribunaux genevois.

Les affaires Infiernito et Pavón

En 2005, 19 détenus s’échappent de ce centre de détention connu comme Le Petit Enfer. La police, sous le commandement de Sperisen met sur pied un Plan Gavilán (Épervier) pour les retrouver. Sur les neuf prisonniers rattrapés, sept sont exécutés et la scène du crime maquillée comme un affrontement.  Depuis longtemps, la prison de Pavón était sous le contrôle des mafias du crime organisé et gérée par les détenus. Des chefs narcos y avaient installé des ateliers de transformation de la drogue qu’ils revendaient à l’extérieur en collusion avec certaines autorités pénitentiaires corrompues. En septembre 2006, le ministre de l’Intérieur, Carlos Vielmann, ordonne la reprise du contrôle de la prison. Erwin Sperisen, alors chef de la police, et Javier Figueroa, son adjoint, organisent une attaque en règle du centre de détention avec 3 000 policiers armés et des mini-tanks. Il n’y a pas de résistance, pas un coup de feu n’est tiré. Selon des témoins, plusieurs prisonniers influents dont les noms sont inscrits sur une liste sont alors froidement exécutés et leur mort camouflée en affrontement avec les forces de l’ordre… D’autres prisonniers sont torturés ou sexuellement agressés.

Fuite précipitée des principaux protagonistes

Javier Figueroa, l’adjoint de Sperisen, de double nationalité guatémaltèque et autrichienne, s’enfuit en Autriche. Le ministre de l’Intérieur Carlos Vielmann, de double nationalité guatémaltèque et espagnole, s’enfuit en Espagne. Edwin Sperisen, de double nationalité guatémaltèque et suisse, s’enfuit en Suisse et s’installe à Genève. Lorsque la justice genevoise prétend que Sperisen ne réside pas à Genève, l’association TRIAL engage un détective privé qui lui fournit les photos de Sperisen entrant et sortant de la résidence de son père, représentant du Guatemala devant l’OMC (Organisation mondiale du commerce) dans le quartier Malagnou. Mais rien ne se passe jusqu’au 6 août 2010 lorsque la justice guatémaltèque émet un mandat d’arrêt international à l’encontre de Sperisen et de 18 autres personnes soupçonnées d’avoir participé à des escadrons de la mort. Sperisen ne pouvant être extradé vers le Guatemala car la Constitution fédérale interdit à la Suisse d’extrader ses propres ressortissants, la Suisse a par contre l’obligation de le juger, même si les crimes ont été commis à l’étranger. Dès lors, le canton de Genève était seul compétent pour instruire ce dossier.

Sperisen arrêté et jugé à Genève

Le 31 août 2012, il est arrêté sur ordre du Ministère public genevois. Plusieurs survivants ou anciens prisonniers font le voyage du Guatemala pour témoigner contre le policier. Convaincu, en janvier 2014, le Procureur Yves Bertossa renvoie le prévenu devant le Tribunal criminel de Genève pour exécutions extra-judiciaires, tortures, disparitions forcées et violences sexuelles. Le procès s’est ouvert le 15 mai 2014. Le 6 juin 2014, Erwin Sperisen est acquitté pour l’accusation de responsabilité dans la mort de trois détenus rattrapés après leur évasion de la prison El Infiernito mais condamné pour la mort de sept détenus lors de l’opération de reprise en main de la prison El Pavón. Pour cette responsabilité, la Cour le condamne à la prison à vie.

Pour Philip Grant, directeur de TRIAL, “Le jugement rendu ce jour est l’illustration que l’idéal de justice poursuivi par tant de gens, en Suisse et au Guatemala, peut se concrétiser. Malgré la distance, malgré la complexité du dossier et malgré les intimidations, la détermination de nombreux acteurs, ici comme là-bas, a permis que justice soit rendue. La lutte contre l’impunité et la dignité humaine sont les grandes gagnantes du verdict rendu aujourd’hui” (1). Lorsque les avocats de Sperisen font appel, le dossier passe à la Cour pénale de la Cour de justice de Genève. Le 12 mai 2015, non seulement la Cour confirme le verdict de première instance concernant le dossier Pavón et ses divers assassinats, mais elle ajoute le dossier Infiernito à la culpabilité de l’accusé. Pour la Cour, il est avéré que les assassins des prisonniers en fuite étaient sous les ordres du chef de la police Erwin Sperisen, qui n’a pas empêché les exécutions. Le verdict de prison perpétuelle est confirmé. Sperisen a encore un recours possible devant le Tribunal Fédéral mais seules les questions de respect du droit pourront y être traitées et non les questions de fond du dossier. Peu de chance que les avocats encouragent Sperisen à faire appel.

Il est à espérer que l’accusation portée contre l’ancien ministre de l’Intérieur Carlos Vielmann en Espagne aboutisse à un procès semblable. Vielmann était le supérieur hiérarchique de Sperisen et présent sur la scène des assassinats dans la prison de Pavón. Il a laissé faire ou a donné les ordres. Son procès doit s’ouvrir bientôt. Pour Philip Grant de TRIAL, “Le verdict rendu est la preuve qu’il est possible à la justice de démontrer l’implication de l’État et de ses représentants dans de graves violations des droits humains et de les tenir responsables devant la loi”.

Jac FORTON

(1) Dans un communiqué conjoint des associations suisses publié le 6 mai 2014.