Le Colombien Juan Gabriel Vásquez à la une des libraires avec son roman « Les Réputations »

Javier Mallarino est un peu le Plantu colombien. Ses caricatures sur l’actualité politique ont acquis un tel poids qu’elles peuvent en un jour détruire une célébrité ou mettre un inconnu sous les feux de la mode. Il a soixante-cinq ans, il jouit tranquillement de sa notoriété, conscient de son rôle de justicier, jusqu’au jour où…

Il a été précédé à Bogotá par Ricardo Rendón, qui après des années de dessins très féroces qui s’attaquaient à ce qui alors était considéré comme intouchable, s’est suicidé en 1931 à l’âge de 37 ans, sans qu’on n’ait jamais compris les raisons profondes de son geste. Mallarino est, quatre-vingts ans plus tard, obsédé par ce modèle qu’il n’a pas connu mais qui est présent dans sa vie et dans ses réflexions sur son métier, ce qui ne l’empêche pas de vivre, ou plutôt de tenter de vivre normalement. Mais est-ce possible quand tout le pays vous connaît et vous redoute, et quand, au même moment, les difficultés s’accumulent dans votre couple ? Et si l’irruption d’une jeune femme qui l’oblige à remuer des souvenirs qu’il avait soigneusement refoulés vient s’ajouter au malaise personnel, il en est réduit à affronter une remise en cause totale du professionnel et de l’homme.

Que s’est-il passé, vingt-huit ans plus tôt, pendant une soirée qu’il avait organisée chez lui ? La visite inattendue de Cuéllar, un député souvent malmené par le dessinateur, ses propos peu convaincants, puis la découverte de la fille de Mallarino et de sa copine Samantha ivres mortes toutes deux, et le lendemain dans le journal le plus lu de Bogotá une caricature terrible contre Cuéllar, qui, après une descente aux enfers finira des années plus tard par se suicider dans l’indifférence générale.

Autour de cette histoire, Juan Gabriel Vásquez nous pose un certain nombre de questions en rapport direct avec notre monde, celui des médias en particulier : en vertu de quoi peut-on lancer des rumeurs que rien au fond n’étaie ? Peut-on profiter, voire abuser du pouvoir conféré par une carrière solide, pour faire plonger un homme, même discutable ? Où se trouve la limite entre dessins publiés et vie privée ? Mallarino ne prend conscience de cela que le jour où sa propre vie privée vacille, ce qui paradoxalement, le rend aussi humain que sa victime qui elle-même ne semblait pas un parangon de vertu. L’humour est une arme redoutable, ce cliché a rarement été aussi bien exploité que dans ce roman dans lequel la banalité de l’idée prend une profondeur dramatique, confrontée qu’elle est à l’humanité de ses personnages, à la relativité d’une réputation. Une fois de plus Juan Gabriel Vásquez réussit un récit qui mêle mystère et psychologie, problèmes sociaux et problèmes individuels, le tout dans un bel équilibre.

Christian ROINAT

 Les réputations de Juan Gabriel Vásquez:, traduit de l’espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon, éd. Le Seuil, 188 p., 18 €.
Juan Gabriel Vásquez en espagnol : Los informantes / Historia secreta de Costaguana / Los amantes de Todos los Santos / El ruido de las cosas al caer, ediciones Alfaguara, Madrid.
Juan Gabriel Vásquez en français : Les dénonciateurs, éd. Actes Sud / Histoire secrète du Costaguana / Les amants de la Toussaint / Le bruit des choses qui tombent, éd. Le Seuil.