Commémoration du coup d’État de 1973 : la réconciliation impossible

41 ans après le coup d’État militaire du 11 septembre 1973 et 25 ans après la fin de la dictature, la commémoration de cette tragédie divise toujours autant les Chiliens. Commémoration émotive au Palais de La Moneda. Le pinochétisme relève la tête.

Émotion au Palais de La Moneda

Accompagnée d’Isabel Allende et de Maya Fernández, fille et petite-fille de l’ancien président Salvador Allende, la présidente Michelle Bachelet a réalisé une visite symbolique des sites du palais présidentiel de La Moneda liés au coup d’État de 1973. Après avoir déposé des roses blanches et rouges dans le Salón Blanco où se trouve toujours le bureau d’Allende, la présidente prononça un discours dans le patio central du palais devant de nombreuses personnalités politiques des partis gouvernementaux mais aussi d’opposition (1), de représentants des religions catholique, protestante et juive, des anciens présidents de la République Ricardo Lagos et Eduardo Frei, et de membres des associations des familles des victimes de la dictature… Invité, l’ancien président Sebastián Piñera s’est excusé sans donner de raisons pour son absence.

« En démocratie, le Chili n’a pas perdu la mémoire et n’a pas oublié ses enfants persécutés, exécutés ou disparus. Nous n’avons pas non plus oublié les blessures du passé, toujours douloureuses… » rappela la présidente. Et d’annoncer un projet de loi visant à abolir la loi d’autoamnistie décrétée par le général Pinochet en 1978 pour empêcher toute action en justice contre les tortionnaires et les assassins du régime militaire. Elle annonce également la création d’un sous-secrétariat des Droits humains.

Elle termine en lançant un message aux civils et aux militaires qui ont soutenu la dictature : « Les victimes qui ont survécu et ceux qui ont torturé et tué sont maintenant des personnes âgées. Beaucoup sont morts en attente de justice, beaucoup sont morts en gardant le silence… Il faut en finir avec ces espoirs douloureux et ces silences injustifiés. Pour cela, il est fondamental que ceux qui possèdent des informations, qu’ils soient civils ou militaires, les donnent… »

À l’extérieur de La Moneda, une délégation a déposé des fleurs au pied de la statue de Salvador Allende située à quelques pas du palais présidentiel. Une autre s’est rendue au cimetière général pour déposer des fleurs devant les tombes d’Allende, de Victor Jara, de Miguel Enríquez et devant le Monument aux disparus.

Le pinochétisme contrattaque

Alors que les parlementaires observent une minute de silence au Parlement, le député UDI Ignacio Urrutia se lève et quitte bruyamment la salle en protestation contre ce silence. La UDI est le parti pinochétiste par excellence et Urrutia un spécialiste de ce genre de manifestation. En 2012, il avait déjà fait le même coup en criant que « Allende n’était qu’un lâche… »

La veille des commémorations, des organisations de militaires retraités jettent de l’huile sur le feu sous la forme d’un encart publié par le quotidien La Tercera, le second en importance du Chili. « Jamais nous n’abandonnerons ceux qui ont exposé leur vie pour la grandeur du Chili… Nous saluons les Chiliens en ce jour qui signale la date de la fondation du Chili du 21e siècle… Ceux qui ont combattu pour créer les conditions qui ont permis le progrès de la Nation, ont été condamnés dans des procès injustes et sans l’application des lois de la République, par exemple la loi d’amnistie… « 

Réponse cinglante de Guillermo Teillier, secrétaire général du parti communiste : « De quoi se plaignent-ils ? Ce sont eux les coupables de la situation qu’a connu le Chili et qui continue aujourd’hui… » De même, le sénateur Alejandro Navarro : « les militaires ont bénéficié des droits de la défense que jamais ils ne nous donnés à nous… » On sait aussi que sous la présidence de Piñera déjà, le ministère de l’éducation avait recommandé que les livres d’histoire ne parlent plus de « dictature » mais de « gouvernement militaire »… Suite au tollé presque général, la recommandation fut rapidement abandonnée.

Autres signes inquiétants : les militaires emprisonnés pour crimes commis pendant la dictature se font passer pour des victimes injustement condamnées ! Ce fut le cas déjà du tortionnaire Miguel Krassnoff qui a pu publier  un livre revendiquant ses actions. Et cette semaine, le major Carlos Herrera, assassin du syndicaliste Tucapel Jimenez et emprisonné pour ce crime, a pu donner une interview à la télévision publique (TVN) en heure de pointe un dimanche dans laquelle il estime que les militaires incarcérés sont les victimes d’une injustice…

Du côté de la France, quelle surprise aussi de découvrir que le dictionnaire français Maxipoche Larousse de 2013 indique sous la rubrique Pinochet Ugarte (Augusto) : « général et homme politique chilien, président de la République 1974-1990 » ! De coup d’État, de dictature, pas un mot !

Le député UDI Ernesto Silva préfère faire croire que tout cela est du passé : « les Chiliens veulent aller de l’avant vers ce qui les unit, pas ce qui les divise ». Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre…

Par contre, le député de droite Rosauro Martínez s’est fait retirer son immunité parlementaire et a été mis en examen pour l’assassinat de trois membres du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) lors de « l’Opération Machete » en septembre 1981. Martínez était alors commandant d’un bataillon de l’armée chargé d’éliminer une tentative de formation d’une guérilla miriste dans les montagnes de Neltume dans le sud du Chili. Les miristes furent tous exécutés… Martínez attend son procès en liberté sous caution de 20 000 €….

Cinq étoiles ou trois ?

Lorsque les familles des victimes demandent à ce que la prison de Punta Peuco, où sont incarcérés les militaires condamnés pour violation des droits humains pendant la dictature, soit fermée et les prisonniers envoyés dans une prison de droit commun, l’ancien président DC Eduardo Frei s’y oppose : « Il est évident que ce type de prisonniers dans une prison publique seront rapidement assassinés. Il suffit de voir le traitement donné par les prisonniers communs aux violeurs d’enfants… L’État doit assurer la sécurité de ces militaires, c’est pourquoi il a fallu construire ce type de prison… »

Jusqu’à 2012, ces prisonniers militaires étaient reclus dans la prison Cordillera, considérée comme un hôtel 5 étoiles : mess des officiers, piscine, tennis, internet, visites sans restrictions, etc. Cette année-là, le président Piñera la ferme et envoie les prisonniers à la prison Punta Peuco. Pour les partisans de la fermeture complète de ces prisons, « Les milicos sont passés d’une prison 5 étoiles à une prison 3 étoiles… »

L’explication du pourquoi, chaque année, le 11 septembre continue de déchirer le Chili se trouve peut-être dans l’analyse de Karol Cariola, jeune députée communiste : « Tant que les militaires ne disent pas où sont les disparus et ne rompent pas leur pacte du silence dont la droite chilienne est complice, qu’ils ne nous demandent pas la réconciliation… »

Jac FORTON

(1) Soit les cinq partis de la coalition officielle Nueva Mayoría (PS, DC, PPD, PRSC et PC)   mais aussi deux partis d’opposition, Amplitud et Evópolis (centre droit).