« Hérétiques » du Cubain Leonardo Padura

Leonardo Padura, l’écrivain cubain, après le chef d’œuvre L’homme qui aimait les chiens  revient avec un nouveau roman Hérétiques où il réussit, avec Hérétiques, aux éd. Métailié, à nous surprendre et une fois encore à nous séduire sans réserves. En septembre Leonardo Padura sera en France pour présenter son livre : à Strasbourg le 17, à Lyon le 18, à Besançon le 19, à Ivry-sur-Seine le 21, du 22 au 24 à Paris, le 25 à Toulouse, le 26 à Auch et le 27 à Pau.

Après le chef d’œuvre qu’est L’homme qui aimait les chiens, paru il y a quatre ans, Leonardo Padura revient en force avec ce nouveau roman dans lequel on retrouve avec plaisir Mario Conde, le détective un peu blasé des premiers polars. Mais cette fois Conde n’est pas vraiment au centre de l’action, il n’est qu’un des éléments moteurs car, en réalité, Padura nous offre non pas un mais trois romans en un, deux enquêtes du détective et, au centre, un somptueux roman historique. Tout se rejoint à la fin, porté par le sujet commun aux trois parties mais aussi à l’ensemble de l’œuvre de Leonardo Padura : une certaine marginalité, forcément salutaire et la quête de la liberté. Ce n’est pas par hasard que Don Quichotte soit cité à plusieurs reprises.

Qu’est-ce que toute forme d’hérésie, sinon une volonté ou une nécessité d’échapper à une ligne religieuse imposée par des dogmes dont les raisons originelles sont de plus en plus obscures à mesure que passent les siècles. Et cela s’applique aussi à une ligne politique dont les principes ont été dévoyés par le temps et par les hommes. Cela s’applique encore aux conceptions morales dont on a de plus en plus de mal à leur trouver une signification. On trouve ces trois types de « déviances » dans cet immense roman qui avant tout est un roman, avec ses mystères, ses rebondissements, ses personnages savoureux et cet humour à la fois mordant et plein d’humanité propre à Leonardo Padura. On y découvre par exemple l’univers des emos (attention : les prendre pour des freaks ou des gothiques, malgré les apparentes ressemblances serait une véritable hérésie !), on y retrouve non seulement l’ex policier, fétiche et double de l’auteur, et ses amis de toujours, mais on s’échappe aussi de cette Havane misérable et belle qui nous est familière pour un grand saut dans l’espace et le temps.

Au centre du roman, le Livre d’Elías qui, entre parenthèses peut se lire indépendamment du reste, fait revivre Amsterdam au milieu du XVIIe siècle, à l’époque où Rembrandt, au sommet de son art, commence sa descente aux enfers, tenaillé par le manque d’argent et par un manque de reconnaissance : depuis qu’il s’écarte des canons officiels il est peu à peu marginalisé. Ce Livre d’Elías, modèle de roman historique, est à lui seul une merveille : Amsterdam, la vraie, pas celle des images toutes faites, vit littéralement sous nos yeux, avec ses beautés et ses misères : l’atelier de Rembrandt et aussi son mauvais caractère, les canaux et aussi les égouts : comment évacuer toutes les sortes d’ordures dans une ville baignant dans des eaux stagnantes ? Il est tellement tentant d’embellir le passé, surtout dans les romans, que cette volonté de vérité est à saluer. Amsterdam, avec son climat à l’opposé de celui de La Havane, est une ville qui sait accueillir, les Juifs entre autres, mais qui sait aussi châtier celui qui s’écarte des normes. Tout cela est vivant, prend les couleurs austères de la peinture flamande, et cette ambiance un peu glaçante n’empêche pas les passions de s’exprimer sous les traits de personnages qui sont, comme toujours chez Padura, des êtres humains attachants sans jamais être mièvres.

Les deux parties qui encadrent le Livre d’Elías, le Livre de Daniel et le Livre de Judith, nous l’avons dit, sont deux missions au cours desquelles Mario Conde ne se contente pas de mener l’enquête. On retrouve l’homme avec quelques années de plus sur le dos, constatant en souriant avec un rien d’amertume, les dégâts causés par le passage du temps, mais restant bon mangeur, bon buveur et toujours amoureux de Tamara. Comme Amsterdam dans la partie centrale, La Havane est une ville de contrastes, décadente et bouillonnante de vie sous toutes ses formes. Quant aux enquêtes, l’une est centrée sur des tableaux anciens, un en particulier, qui a beaucoup voyagé et qui continue de le faire, avec un million de dollars, peut-être plus, à la clé, l’autre est centrée sur un monde futuriste proche de celui du film Blade runner, passé, présent, futur, tout va décidément par trois dans ce roman.

Leonardo Padura nous décevra-t-il un jour ? Après le chef d’œuvre qu’est L’homme qui aimait les chiens, il réussit, avec Hérétiques, à nous surprendre et une fois encore à nous séduire sans réserves.

Christian ROINAT

 

Hérétiques, de Leonardo Padura, traduit de l’espagnol (Cuba) par Elena Zayas, aux éditions Métailié, 620 p., 24 €.
Leonardo Padura en espagnol : toute son œuvre est publiée chez Tusquets et en français chez Anne-Marie Métailié.