Les étudiants de nouveau dans la rue « pour une éducation gratuite et de qualité pour tous »

Plusieurs dizaines de milliers d’étudiants du secondaire et universitaires protestent dans la rue contre les ambigüités de la réforme de l’Éducation promise par la présidente Bachelet.

Depuis 2006, pendant le premier mandat de Michelle Bachelet, et surtout 2011 sous la présidence de Sebastián Piñera, les étudiants du secondaire et universitaires réclament une réforme en profondeur du système éducatif chilien. Dans le modèle actuel, créé sous la dictature du général Pinochet, les établissements scolaires sont considérés comme des entreprises privées et gérés comme telles par des actionnaires qui engagent de véritables directeurs commerciaux pour gérer « l’entreprise »!

Les établissements d’enseignement sont divisés en trois catégories : les collèges publics, les collèges subventionnés, c’est-à-dire privés, faisant payer les parents et recevant quand même des subventions de l’État au prorata du  nombre d’élèves, et les établissements privés (sans subventions). Le système faisant croire aux parents que plus ils paient cher, meilleure est l’éducation, les collèges subventionnés sont  préférés aux écoles publiques qui ont de plus en plus de difficulté à survivre. L’éducation supérieure est hors de prix : certaines universités exigent des parents jusqu’à 1000 dollars par mois dans le privé et 800 dollars dans le public. Ce modèle est extrêmement inégalitaire car l’accès à l’éducation dépend ainsi uniquement du pouvoir financier des parents. Un panneau porté par une étudiante dans la marche regrettait que « Cinq ans d’études signifiaient vingt ans de dettes… »

Les promesses de Michelle Bachelet

La campagne de la candidate Bachelet était basée sur trois promesses principales : une réforme en profondeur du système éducatif, une réforme du système des impôts pour trouver les finances nécessaires et la mise sur pied d’une assemblée constituante pour l’élaboration d’une nouvelle constitution.  La réforme du système éducatif  devrait « mettre fin au lucre (1), établir la gratuité des études et en terminer avec la ‘sélection’ des élèves dans les collèges » (les élèves sont interviewés soi-disant pour définir leur niveau scolaire, en réalité pour juger du pouvoir financier des parents).

Une fois élue, la présidente Bachelet charge son ministre de l’Éducation, Nicolas Eyzaguirre, d’élaborer la réforme. Mais Eyzaguirre est un économiste, un ancien ministre des Finances et ex directeur d’un département du Fonds monétaire international. Pas étonnant que son projet de  réforme ne plaise pas aux premiers concernés, les étudiants et leurs familles, qui estiment que la réforme laisse trop de place aux secteurs favorables au lucre et se sentent obligés à descendre dans la rue pour exiger que le gouvernement écoute leurs propositions. Selon les représentants des organisations étudiantes, soutenus par des organisations parentales et des secteurs du corps enseignant, « Cette réforme se fait entre quatre murs, dans le dos des citoyens, sans la participation des acteurs de l’Éducation… Elle n’éliminera ni le lucre ni le marché éducatif… Ce projet de loi du gouvernement n’est pas une réforme mais un simple aménagement du système actuel… »

Le lobby des actionnaires

Bien sûr, les partisans du modèle néolibéral sont montés au créneau. Pour l’ancien candidat présidentiel de la droite, le sénateur Andrés Allamand, la réforme « est teintée d’idéologie car elle cherche un contrôle de l’État sur le système éducatif. Elle est attentatoire à la liberté de choix des parents… » Pour ce secteur, les actionnaires ont le droit de gérer leur collège comme bon leur semble même si cela signifie qu’un propriétaire puisse vendre son établissement, élèves compris, ou le fermer et mettre 400 étudiants à la rue comme cela s’est passé récemment. Pour éviter que ce genre de situation ne se renouvelle, la réforme prévoit un « interventor » qui serait désigné par le gouvernement pour continuer à faire fonctionner un établissement éducatif si son propriétaire décidait de le fermer, et permettre ainsi aux élèves inscrits de continuer leurs études. Une preuve de plus pour les étudiants que la réforme n’abolira pas le lucre…

Plan de participation citoyenne

En partie en réponse aux manifestations, le ministre de l’Éducation a mis sur pied une table de dialogue appelée Plan de participation citoyenne « ouvert aux organisations et aux institutions impliquées dans les divers secteurs du monde éducatif… » Les organisations étudiantes sont divisées : certaines acceptent d’y participer car « ne pas y aller serait laisser la place aux conservateurs favorables au lucre dans l’éducation« , d’autres refusent car « le gouvernement est ambigu dans ses déclarations sur le lucre ». Il est clair que la réforme du système éducatif deviendra rapidement un problème politique d’envergure et que les manifestations risquent bien de se poursuivre…

 Jac FORTON

 (1) Lucre : profit, argent recherché avec avidité (dictionnaire Larousse en ligne)