Abilio Estévez : « L’année du calypso »

À ne pas mettre entre toutes les mains”, cet avertissement pourrait figurer sur la couverture du nouveau roman du Cubain Abilio Estévez. Le livre contient en effet des pages qui au mieux gêneront, au pire feront abandonner la lecture à un public un peu timide. Et pourtant, il ne manque pas d’intérêt. Ce roman d’initiation autobiographique plonge le lecteur dans un Cuba des années soixante, au début de la Révolution castriste, même s’il n’est jamais question de politique.

Josán est le fils d’un médecin militaire surnommé le “Sergent de Bronze” pour sa rigueur, une rigueur dont les failles apparaîtront peu à peu. Vers l’âge de quinze ans, il se découvre une attirance pour un beau jardinier qui s’occupe de la propriété voisine. Et surtout, il se découvre en lui une double personnalité, il est à la fois Fernando et Victoria. Malgré la rigueur du contexte familial, l’adolescent accepte cette réalité et avance très vite dans la construction de ce qui sera sa personnalité définitive.

Au-delà du récit des troubles et des émerveillements qui accompagnent ces révélations, Abilio Estévez propose une réflexion sur ce passage vers l’âge adulte, et aussi sur bien d’autres sujets, comme l’acte de séduire par exemple, acte double lui aussi, entre la douceur et la violence, le partage et la domination. Il invite également à réfléchir sur le parallèle entre l’amour (physique) et l’écriture : au lit comme face à la page blanche, “ce n’est pas le plus violent qui triomphe, mais celui qui contrôle le mieux, dose son savoir-faire, l’exquise torture et la douce violence”, n’est-ce pas une superbe définition des rapports entre auteur et lecteur ?

Et puis, comme dans ses romans précédents (la nostalgie du pays perdu y est pour beaucoup sans aucun doute) Abilio Estévez offre un tableau sensible et réaliste, poétisé par la distance, de la vie dans “son” île où il fait (encore) bon vivre, où l’adolescent ne ressent pas encore les contraintes, morales ou familiales, qui deviendront ensuite un obstacle à son épanouissement. Ces empêchements n’apparaissent que très indirectement dans cette initiation qui n’est que bonheur et qui fait de ce roman un livre lumineux.

 Christian ROINAT

Abilio Estévez : L’année du calypso traduit de l’espagnol (Cuba) par Alice Seelow, Grasset, 238 p., 18 €.

Abilio Estévez en espagnol : La noche  / Tuyo es el reino / Los palacios distantes El navegante dormido / El bailarín ruso de Montecarlo  / Inventario secreto de La Habana  / El año del calipso, tous aux Éditions Tusquets.

Abilio Estévez en français : Ce royaume t’appartient / Palais lointains / Le navigateur endormi  /  Le danseur russe de Montecarlo , tous aux Éditions Grasset.