Cinq minutes en 150 pages : le roman nouveau de Pablo Ramos.

Une petite aube grise, quelque part, dans un quartier de Buenos Aires. Une femme s’éveille. Elle doit se lancer dans les occupations familiales et ménagères, il faut que tout soit bientôt prêt. Elle se donne cinq minutes de plus pour traîner au lit, aux côtés de son mari qui, lui, dort. María, soixante ans « et des poussières » prend cinq minutes pour paresser un peu. On est dans un entre-deux qui est l’essence même de ce roman : l’heure, entre nuit et jour, l’âge de la femme ensuite, au bord de la vieillesse, mais qui se sent encore en pleine possession d’elle-même, bien qu’elle sente son environnement lui échapper. Son environnement est essentiellement familial, elle n’a jamais su s’émanciper de ce qu’on lui a imposé depuis son mariage, à commencer par la présence envahissante de sa belle-mère avec qui elle a été forcée de cohabiter.

Mais, contrairement à celle de son mari, sa propre famille, originaire d’Espagne, lui a offert une ouverture culturelle (une de ses tantes, d’après la légende familiale, aurait été amie avec Rafael Alberti) qui a pour conséquence un mélange de fierté et de frustration : María est toujours prise entre les contraintes matérielles, l’argent qui n’abonde pas ou la lessive quotidienne, et cette aspiration à l’art, à la beauté et à la spiritualité. Au fil des souvenirs qui traversent son esprit encore ensommeillé, il lui revient quelques personnes qui l’ont marquée à un moment ou à un autre de sa vie : Laura, l’amie la plus sûre et la plus désintéressée, prostituée vieillissante pleine de générosité ou l’oncle Héctor, avec ses trois femmes et ses quinze enfants vivant en belle harmonie sous le même toit, qui n’a qu’un défaut, ses crises de violence dès qu’on essaie de le faire plier.

Par rapport à son mari, qu’elle n’appelle plus que cet homme depuis qu’il l’a giflée une fois il y a des années, elle hésite, en toute honnêteté, entre l’admiration et le détachement, tout en se demandant comment s’est créée cette faille entre eux qui est devenue fracture. Et puis il y a les enfants, dont elle parle beaucoup, mais sans en dire long, avec Gabriel, le fils préféré, le plus problématique aussi, celui qui certainement l’a fait pleurer le plus, celui qu’elle a tenté de protéger, blessure profonde qui ne se referme pas, même à présent, quand Gabriel semble avoir surmonté ses problèmes.

Avec une grande lucidité mais aussi beaucoup de retenue, cette femme évolue entre culpabilité et autodérision et Pablo Ramos parvient parfaitement à nous faire entrer dans les pensées mouvantes du petit matin d’un jour dont on sait qu’il sera tout à fait ordinaire. En cinq minutes, à peine plus, le temps du récit, passe devant nous une foule de drames, minuscules ou terribles, selon l’angle sous lequel on veut les voir.

Christian ROINAT

 

 Encore cinq minutes, María, de Pablo Ramos, traduit de l’espagnol (Argentine) par Bernardo Toro, éditions Métailié, 157 p., 17 €.
Pablo Ramos en espagnol : En cinco minutos levántate, María, Alfaguara, Buenos Aires.
Pablo Ramos en français : L’origine de la tristesse, Métailié, 2008.