L’Argentine en proie aux fonds vautours

Une fois n’est pas coutume, La France, les Etats-Unis et le FMI soutiennent l’Argentine dans son litige avec les « Fonds vautours » !
En situation d’incapacité de payer ses créanciers internationaux, l’Argentine avait, en 2005 et 2010, négocié sa dette en leur proposant un remboursement échelonné d’une partie de la dette totale pour solde de tout compte. Préférant encaisser une partie des créances plutôt que de tout perdre, plus de 93 % des créanciers avaient accepté ce « canje », cet échange. Mais des fonds spéculatifs, aussi connus comme « vautours » (Fondos buitres en espagnol), avaient racheté pour une bouchée de pain les titres et bons correspondant aux 7 % restants.

En 2012, les fonds NML Capital, Aurelius et Olifane, d’origine états-unienne, attaquent l’Argentine devant la justice de New York et exigent le remboursement intégral de la valeur des bons en leur possession plus les intérêts depuis 2001, soit 1,3 milliards de dollars ! Et le juge Thomas Griesa leur donne raison ! Il décide que l’Argentine doit payer tout ce qu’exigent les vautours, en argent liquide et en un seul versement. L’Argentine dépose un recours devant la Cour d’appel qui  confirme la décision du juge Griesa et demande aux parties de présenter des options de paiement. L’Argentine propose un « canje » sur les mêmes bases que celles accordées avec les 93 % de ses créanciers, les vautours exigent tout, tout de suite.

Depuis quelques années, parce qu’elle refusait de suivre les recommandations d’ajustements structurels du FMI,  l’Argentine était devenue la bête noire du système financier international. Elle était attaquée sur tous les fronts pour cause « d’instabilité juridique envers les entreprises » : à l’Organisation Mondiale du Commerce, par le Club de Paris, le FMI, les Etats-Unis, la France, l’Espagne et d’autres. Cela surtout depuis 2012 lorsque le gouvernement avait nationalisé YPF, une entreprise d’exploitation de champs pétroliers argentine dont le principal actionnaire, l’entreprise espagnole REPSOL, était accusée de négligence et de non respect des contrats d’extraction. Les transnationales et leurs gouvernements avaient alors dénoncé l’Argentine devant une multitude d’instances internationales.

Mais l’affaire des fonds spéculatifs est différente. Elle touche au cœur même du système financier international. Les pays qui rencontrent des problèmes financiers recourent régulièrement à des restructurations de leurs dettes. Si les recours argentins sont rejetés au bénéfice des fonds spéculatifs, plus aucun pays ne pourra renégocier sa dette et les fonds spéculatifs exigeront des sommes mirobolantes, en général à des pays en développement.

Dans quelques semaines, la Cour d’appel de New York tranchera entre les deux options. Le perdant s’adressera inévitablement à la plus haute instance, la Cour Suprême des Etats-Unis. En général, la Cour fonctionne sur le principe de l’Amicus Curiae, l’Ami de la Cour, selon lequel toute entité non directement impliquée a le droit de faire un commentaire sur l’affaire en cours.

La position des Etats-Unis

Le gouvernement états-unien avait déjà fait connaître sa position lors des dépositions de première instance devant le juge Griesa. Le Département du Trésor avait déclaré qu’un verdict en faveur des fonds spéculatifs serait une mauvaise nouvelle pour le système financier international en général et pour la place financière de New York en particulier.

Le gouvernement US fait alors savoir officieusement qu’il souhaite un verdict en faveur de l’Argentine mais qu’il ne donnerait sa position officielle que si la Cour Suprême la lui demandait, une procédure habituelle de l’administration.

La position du FMI

La première réaction du Fonds monétaire international fut d’élaborer un document qui montrait qu’un verdict en faveur des fonds spéculatifs impliquerait un risque systémique pour le système financier international. Selon le Wall Street Journal, à l’issue du G-20 de Moscou, la directrice du FMI Christine Lagarde aurait recommandé à son directoire d’émettre un document de soutien à l’Argentine à remettre à la Cour. Car, le FMI reconnaissait que « l’on ne pouvait pas continuer sur la route de la croissance et en terminer avec les problèmes de dette si les procédures de ‘canje’ étaient mises en difficulté » (1).

Mais, lorsque les Etats-Unis annoncent qu’ils ne remettront leur document que si la Cour le leur demande, le FMI fait marche arrière : « Il ne serait pas adéquat que le FMI présente un document sans le soutien des Etats-Unis car il doit rester neutre dans un litige qui implique deux pays membres… » Tout en laissant la porte ouverte à une future présentation, le FMI indique qu’il ne présentera un document que si les Etats-Unis le font ou si la Cour le requiert.

Le porte-parole du FMI a quand même précisé que « tous les pays devraient avoir une flexibilité dans la restructuration de leur dette. Si cette flexibilité est compromise, il y a des implications pour la stabilité financière et systémique ».

La position de la France

Le gouvernement français, très inquiet des retombées négatives possibles pour ses finances en cas de nécessité de restructuration de sa dette, a décidé de prendre position sans que la Cour ne le demande. Le 4 avril 2012, la Cour de Cassation de Paris avait déjà rendu un verdict favorable à la position argentine en déclarant que ce pays avait le droit de restructurer sa dette et en confirmant la validité des « canjes » de 2005 et 2010.  Fin juillet 2013, le  ministère de l’Economie et des Finances communique que « la France va intervenir en tant qu’Amicus Curiae auprès de la Cour Suprême, pour l’alerter des implications potentielles de sa décision sur le bon fonctionnement du système financier international. Le principe même de restructurations ordonnées et négociées des dettes souveraines, menées en particulier dans le cadre du Club de Paris, pourrait en être affecté. La décision de la Cour pourrait en effet dissuader la participation de créanciers de bonne foi à toute résolution de crises d’endettement…  » Et le communiqué de préciser que « cette démarche n’est pas liée au cas spécifique de l’Argentine. Elle est motivée par l’attachement de la France à la préservation de la stabilité financière internationale et à son rôle au sein du Club de Paris dont elle assure la Présidence et le Secrétariat depuis 1956… »(2)

 Jac Forton

(1) Cité par le journal argentin Pagina 12 du 23 juillet 2013.

(2) Communiqué 751 du ministère, en date du 26 juillet 2013.