Les débuts du gouvernement du jeune président chilien Gabriel Boric dans la tourmente après une période de grâce trop courte

À deux mois de son installation au palais présidentiel de La Moneda, le gouvernement de Gabriel Boric obtient, après d’intenses négociations au sein d’une Assemblée nationale très fragmentée, l’approbation de quatre de ses projets les plus emblématiques.

Photo : La Tercera – La Moneda

Le 4 mai, les député(es) ont voté en faveur de l’augmentation du salaire minimum de 370 000 à 400 000 pesos par mois ainsi que d’autres initiatives destinées à pallier les effets de l’inflation de plus de 10 % comme conséquence de la guerre en Ukraine. La chambre a approuvé également la signature de l’accord d’Escazú, traité international signé par 25 pays d’Amérique latine et de la Caraïbe pour la protection de l’environnement que l’ancien président Sebastián Piñera n’avait pas voulu signer. Le Sénat pour sa part a ratifié à l’unanimité les politiques destinées à stabiliser le prix du gasoil pour cette entrée de l’hiver et ratifié la nomination de Rodrigo Cid à la tête de la télévision nationale, permettant pour la première fois que la chaîne soit dirigée par un journaliste largement expérimenté et reconnu.

Mais en dépit de ces avancées, le lendemain, la presse nationale, majoritairement conservatrice, n’a pas trouvé bon d’en parler dans ses unes. Le journal de droite El Mercurio faisait état dans sa une d’un sondage qui affirmait que 59 % des personnes interrogées préfèrent ne pas ratifier la proposition de nouvelle constitution qui est en train de s’écrire par la Convention Constituante et que celles-ci souhaiteraient plutôt qu’un comité d’experts rédige une nouvelle constitution devant remplacer celle de 1980 de l’ancien dictateur Augusto Pinochet. Sur la même page, le journal annonçait que la convention avait approuvé dans sa réunion plénière le droit des peuples originaires à leurs terres ancestrales et aux ressources qu’y s’y trouvent. Dans les pages de La Tercera, l’autre principal journal du pays, la une était quasiment la même et le titre d’un article disait « Les repentis de ‘el apruebo (approbation)’ » et publiait les “conseils et critiques » de la députée espagnole du Parti populaire PP (droite) Cayetana Álvarez, connue dans son pays pour son opposition au Mee-too, entre autres. 

La situation actuelle dans le monde consécutive à la guerre en Ukraine n’épargne aucun pays du monde, et la situation économique au Chili en pâtit, ce qui rend les choses difficiles pour le nouveau gouvernement. D’après Claudia Heiss de l’Institut des affaires publiques de l’université du Chili, cette crise est aussi due en partie aux dépenses publiques de la pandémie du Covid même, l’État chilien n’ayant pas été très généreux envers sa population qui s’est vue poussée à retirer une partie de ses fonds de pension pour y faire face. Et, ce gouvernement qui vient avec un discours social et avec un programme de gauche, a été paradoxalement contraint de freiner les dépenses publiques, explique Claudia Heiss, avec les conséquences que cela implique pour l’adhésion populaire. Cependant, l’universitaire affirme que « la gestion de l’économie du gouvernement jusqu’à ici est remarquable » et elle fait référence entre autres au frein concernant la poursuite du retrait des fonds de pension qui fut rejetée par le Congrès au mois d’avril.

Pour Heiss, l’équipe économique du président Gabriel Boric, dirigée par le ministre Mario Marcel, ancien président de la Banque centrale « a été efficace et responsable quant à la modération de ces politiques fiscales » et la communication du gouvernement pour faire comprendre aux Chiliens que l’inflation a avant tout des effets sur les personnes les plus vulnérables économiquement. Il existe une vidéo où Gabriel Boric se promène une soirée dans les rues de Santiago et un groupe de personnes lui demande de le prendre en photo avec eux. Au moment de partir, quelqu’un lui demande de soutenir le cinquième retrait des fonds de pension et le président se retourne et leur explique les conséquences de ses retraits sur l’inflation et ce que celle-ci signifie. Cette reconnaissance de la bonne gestion de l’économie est très significative car ses détracteurs disaient de l’équipe gouvernementale qu’ils étaient « un groupe de personnes irresponsables, des ‘cabros chicos’ (petits jeunes) sans expérience »

Le gouvernement a aussi fait de vraies avancées sur la question de l’équité de genre. Il a présenté un projet de loi pour garantir le paiement des pensions alimentaires pour les pères débiteurs. Cette question est très importante car au Chili énormément de femmes ne parviennent pas à obliger leurs ex-conjoints à verser ces pensions pour les leurs enfants. Il a également tenu sa promesse de lever les plaintes basées sur la loi de sûreté de l’État, contre des manifestants de l’explosion sociale de 2019-2020, décision bien sûr très critiquée par les secteurs conservateurs du pays. Toutefois, l’arrivée de Gabriel Boric à la tête du pays est loin d’être aisée et cela explique la période de grâce trop courte et la baisse rapide de l’adhésion populaire, d’après les sondages d’opinion. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que les expectatives étaient très élevées.

Pourquoi ce mécontentement ? Cela est dû aussi au fait que les aides économiques même minimes pendant la pandémie se sont arrêtées et que le gouvernement actuel a stoppé l’hémorragie des retraits des fonds de pension. L’autre aspect très important est celui de l’ordre public et la sécurité : les manifestations de mécontentement, que l’on pensait-on, s’arrêteraient une fois le gouvernement de droite parti, continuent même si elles sont moins nombreuses avec leur lot de violence et d’actes de délinquance ainsi que les ravages préexistants des trafics de drogues dans certains quartiers. 

Mais c’est surtout la grave crise dans la région de l’Araucanie qui perdure depuis des décennies entre le peuple Mapuche et l’État chilien et ses forces de l’ordre. Les incendies criminels de camions et les épisodes violents se poursuivent et la politique de dialogue proposée par la ministre de l’Intérieur Izkia Siches s’est vue jusqu’à maintenant vouée à l’échec, critiquée et moquée. Depuis, les camionneurs organisent toujours des grèves et paralysent partiellement le pays. Nous connaissons cela beaucoup trop bien ! Le gouvernement, contre ses propres convictions et contre toute attente, vient de proposer au Congrès l’instauration d’un état d’urgence « intermédiaire » dans la zone où les militaires devraient être partie prenante sans pour autant agir avec leurs armes pour calmer la situation et stopper l’escalade de part et d’autre et convaincre les camionneurs. C’est une drôle de situation pour un gouvernement qui voulait mettre un terme à la présence des forces de l’ordre en Araucanie. 

La baisse de l’adhésion envers le gouvernement vient, pour certains spécialistes de centres de sondages, de la jeunesse des membres du gouvernement qui provoquerait chez les citoyens plus âgés une méfiance, bien que ces personnes soient très qualifiées à leurs postes. Et enfin, le processus constitutionnel. Ce processus est lié étroitement et de manière hautement symbolique au gouvernement de La Moneda et à son président Gabriel Boric car il fut l’un des signataires de ce projet majeur et devint une figure politique du pays qui défendait le changement de Constitution pour construire un nouveau pays.

Le cheminement de la nouvelle constitution depuis ses débuts lorsqu’elle fut approuvée par 79 % de la population devient très complexe et les enquêtes d’opinion, dans ce pays où les organes de presse sont idéologiques et à droite, donnent une marge étroite à l’alternative « Apruebo » et parient sur une augmentation des opinions en faveur du rejet de la proposition constitutionnelle et le remplacement du travail accompli par l’actuelle Convention constitutionnelle de 155 membres élus par suffrage universel, par une nouvelle proposition d’un groupe d’experts. Cette méfiance et le détachement d’une partie de la population peut s’expliquer par quelques erreurs du début qui furent exploitées par leurs contradicteurs et en grande partie par la couverture communicationnelle dominée par les grands groupes médiatiques, tels que El Mercurio où, toutes les semaines, les éditoriaux critiquent négativement le travail des constituants, dit la journaliste Consuelo Ferrer, du journal The Clinic.

Il ne reste à la Convention que quelques semaines pour approuver les normes et l’étape d’harmonisation des articles pour que la proposition du texte puisse être ratifiée par le Congrès au mois de juillet et votée le 4 septembre 2022 par les Chiliens. La campagne sera extrêmement dure et l’exécutif devra être neutre et ne pourra fournir aucune ressource publique, ni financière ni humaine, pour ne favoriser aucune des deux options : approbation ou rejet. Les semaines à venir seront rudes donc et l’avenir d’un Chili nouveau est plus que jamais dans les mains de sa population qui sera tiraillée et bombardée par les sirènes du malheur propagées par les élites du pays. 

Olga BARRY