Julie Ducos, membre de notre équipe de rédaction, qui suit des études de commerce, nous propose à manière de carnet de voyage, ses impressions de son séjour en Argentine car elle restera quelques semaines à Mendoza dans le cadre de ses études. Voici sa première et riche livraison.
Photo : Casa de Turismo de Mendoza
C’était un vendredi soir chaud et humide du mois de mars comme il doit y en avoir beaucoup à Buenos Aires. Après douze heures d’avion, quel bonheur de mettre enfin les pieds dans cette immense ville du continent latino-américain, de laquelle je partis presque aussitôt pour rejoindre l’extrême ouest de ce grand pays. Douze heures de transport de nouveau, de bus, le « sport national », pour rejoindre la ville où je ferai mes études ce semestre, Mendoza. Ces bus, j’ai eu l’occasion de les prendre à plusieurs reprises et je compte encore en profiter. Quand on voyage dans un nouveau pays, il faut accepter de reconsidérer l’espace comme il y est perçu et organisé. L’évaluation de la distance, la perception de ce qui est long ou court, change. Et les moyens de parcourir cette distance ne sont pas les mêmes non plus : pour aller voir un ami dans une autre ville en Argentine, on ne fait pas deux heures de TGV ou une heure d’avion, mais on passe une nuit dans le bus. Le pays est d’ailleurs si grand que beaucoup d’Argentins n’en sont jamais sorti. Ils font autant de trajet pour rejoindre une autre région du pays où les différences de prononciation de l’espagnol ou de vocabulaire (par exemple le masque chirurgical pour la pandémie a un nom qui diffère selon la région) les font autant voyager que lorsque nous passons d’un pays européen à un autre.
Mendoza, donc. Mis à part les fameux « kioscos » rouges si caractéristiques de l’Argentine où se vendent chocolat, cigarettes, alfajores et autres babioles, ou bien la présence abondante d’arbres pour ombrager les larges rues, rien ne rappelle les immenses édifices qui étouffent presque les rues de Buenos Aires. Je suis arrivée dans la ville un dimanche, les rues étaient désertiques… dimanche, jour du Seigneur dans un pays très catholique, jour de repos aussi, mais pas dans sa propre maison. À Mendoza, toute la population de la ville se retrouve au Parc San Martín le dimanche, en famille ou entre amis, dans tous les cas en compagnie de leur « maté » et d’un ballon de foot. Mais finalement, même si les rues s’animent davantage la semaine, la vie reste tranquille pour une des plus grandes villes du pays.
Comme je l’avais lu, la vie à Mendoza fait travailler la patience des jeunes Européens qui ont l’habitude de courir toute la journée d’une occupation à une autre. De nombreux Français que j’ai rencontrés ici se sont plaints de la lenteur avec laquelle les personnes marchent dans la rue, sans remettre en question que peut-être ce sont eux qui sont déréglés dans la gestion de la marche, rapide, et de leur temps ! Ici, faire deux heures de queue pour retirer son western union ou une carte Sube (la carte nationale de bus) est bien habituel. Tout est plus long que chez nous, il faut accepter de prendre son temps : que ce soit pour aller passer le week-end dans une ville voisine (les 3h de TGV Lyon-Paris sont assez ridicules à côté !), ou pour commander un plat au restaurant, ou encore pour trouver un magasin qui n’existe en fait plus que sur Google Maps. Il m’est arrivé de faire plusieurs fois le tour d’un quartier car chaque commerçant m’indiquait une direction différente pour rejoindre un kiosque afin de recharger ma carte de bus. Cette tranquillité est imprégnée dans les rues où les peintures murales aux slogans optimistes et protecteurs pour notre vie et notre planète nous obligent à nous apaiser.
J’ai vite fait de découvrir les habitudes des habitants de Mendoza, les Mendocinos, qui sont semblables à celles des habitants d’autres régions d’Argentine bien que celle-ci soit constituée de nombreuses régions aux différences notables. Par exemple, la nourriture : des empanadas à n’en plus finir, des chocotortas et le fameux dulce de leche que l’on retrouve dans tous les desserts et plats sucrés ! Ici la nourriture s’achète beaucoup dans des petits magasins qui vendent en masse fruits et légumes de la région, grande productrice agricole. Les quelques supermarchés proposent de la nourriture à un prix élevé par rapport au faible coût (d’un point de vue européen) d’un repas dans un restaurant. Les Argentins paraissent très avancés par rapport aux Français sur le « sans gluten » qui est écrit jusque sur les paquets de sucre et de sel, et sur la vente abondante de produits naturels que l’on peut trouver dans les fameuses dietéticas (vente de produits naturels et de vrac) ou bien dans les férias artisanales qui existent aux quatre coins du pays.
La culture argentine se vit ainsi au quotidien. Très vite aussi, j’ai été prise dans l’effervescence de cette société qui se bat pour ses droits : un 8 mars en Argentine, ça ne rigole pas ! Ce n’était pas seulement la Journée de la femme, mais aussi et comme lors de chaque manifestation ici, une occasion de dire « fuera el FMI », l’institution internationale constituant toujours la bête noire des Argentins, ainsi qu’une nouvelle occasion pour le Polo Obrero de réclamer ses droits. En Patagonie aussi j’ai pu observer la manifestation pour leurs droits dans la rue, mais d’une autre façon : des grandes pancartes protestant contre un projet de « megaminería » qui, selon des Argentins que j’ai questionnés, détruirait une partie de la nature dans la région déjà affectée par le changement climatique. Beaucoup des immenses forêts de cette région qui, par cette immensité et la quantité de lacs m’a rappelé le Canada, brûlent régulièrement du fait de la sécheresse…
Les Argentins sont ainsi très mobilisés dans leur vie de citoyens. Leur histoire compte beaucoup pour eux. Le péronisme ainsi que son lien avec la politique actuelle est un sujet dont ils aiment discuter. Eva, comme Juan Perón, jouissent d’une bonne image dans le pays, mais il ne semble pas que ce soit le cas de l’actuel président, du moins chez les jeunes comme chez les moins jeunes avec qui j’ai pu avoir cette discussion. Je n’ai entendu que du mal de cet accord conquis par Alberto Fernández au mois de mars avec le FMI alors que le gouvernement et certains médias s’employaient pourtant à s’en féliciter sur d’immenses panneaux publicitaires ou avec des flyers distribués dans la rue. Et ce, pour la simple et bonne raison que la situation économique des gens est très loin d’être optimale ici, sans parler des immenses inégalités et de la pauvreté qui touche plus de la moitié de la population argentine.
Les salaires sont bas, les prix montent en flèche du fait de l’inflation, les jeunes manquent de perspectives pour leur futur où le marché du travail ne les attend pas bras ouverts, les couvertures sociales sont insuffisantes… et la pandémie a fait beaucoup de dégâts chez les commerçants qui ont été nombreux à fermer leurs commerces. C’est quelque chose de visible dans la rue et la vie en général. Mais encore une fois, tout dépend de la région et des quartiers des villes. Le centre de Córdoba ou la ville de Bariloche rappellent l’Espagne pour le premier, la Suisse pour la deuxième. Néanmoins, beaucoup d’autres lieux peuvent faire penser aux bâtiments à moitié construits des villes des « pays en voie de développement » où les câbles surplombent la rue, où les devantures des magasins clignotent, où des personnes cirent les chaussures ou lavent les pare-brise dans la rue…
Et pourtant, qu’est-ce qu’ils sont optimistes ces Argentins ! Leurs expressions italiennes, qui sont sans aucun doute issues de l’émigration massive des XIXe et XXe siècles, leur émerveillement quotidien, leur courage et leur réjouissance devant toutes sortes de choses m’a également rappelé l’optimisme des Canadiens. En vérité, il y a une réalité autre que celle de la prudence à avoir lorsqu’on se promène seul dans la rue ou de la triste situation économique. La générosité permanente des Argentins à laquelle s’ajoutent la splendeur et l’immensité des paysages naturels font de l’Argentine un pays tout simplement magnifique…
Julie DUCOS
Depuis l’Argentine