« Par la forêt », un nouveau roman d l’écrivaine argentine Laura Alcoba vient de paraître chez Gallimard

Née en 1968, Laura Alcoba a quitté l’Argentine en 1978, deux ans après le coup d’état militaire et la guerre menée par la junte aux opposants du nouveau régime. Elle vit désormais à Paris, où elle enseigne la littérature hispanique à l’Université de Nanterre. Si le français n’est pas sa langue maternelle, c’est pourtant dans cette langue qu’elle écrit ses trois romans.

Photo : El Pais – Gallimard

La vie de Griselda a basculé un jour d’hiver en 1984. Argentine exilée en banlieue parisienne, elle habitait avec Claudio, son mari et ses trois enfants dans une annexe d’un lycée où travaillait Claudio comme homme à tout faire. Les premières pages, dans un froid glacial en ce jour de décembre 1984, évoquent le drame dont on ne sait rien sinon qu’il s’est produit. Trente-quatre ans plus tard, la narratrice (la romancière) rencontre Griselda en 2018 dans un café parisien, elle souhaite décrypter les années argentines, les années de jeunesse, pour tenter de comprendre ce qui s’est passé en 1984.

On est à la fin des années 40, la famille de Griselda (un fils aîné, une fille cadette et, entre les deux, venus trop tôt selon une voisine, Griselda et son jumeau qui ne comptent guère : l’aîné est prometteur, la cadette est parfaite, blonde, poupée de porcelaine, princesse. Griselda fillette, adolescente, a-t-elle eu une enfance heureuse ? Pas vraiment : toute petite déjà, elle sent, elle sait que sa mère, la Madre (si ce nom revient en majuscule, le père, pharmacien, n’a droit qu’à des lettres normales, minuscules) ne l’aime pas. Mais l’immensité de la pampa où elle passe une partie de son enfance avec sa famille est un régal pour elle. Mais dans ce décor de rêve le danger est là sous la forme de deux hommes qui ne cesseront de la harceler que quand le père aura cassé la figure à l’un d’eux. Mais, à côté de cela, elle se découvre un talent pour le dessin et la création. Sa jeune vie avance ainsi entre deux souffles, du plus et du moins, avec tout de même davantage de moins.

L’Argentine du milieu des années 1970 n’est pas du tout aimable. La dictature militaire a imposé sa violence, la suite de l’existence de Griselda se fait en France et ressemble à celle de beaucoup d’exilés politiques (dont les parents de Laura Alcoba). C’est donc dans la banlieue parisienne, par un temps glacial, que se produit le drame. Laura Alcoba, témoin privilégiée (elle a connu la famille de Griselda quand elle avait 14 ans) semble se contenter de ce rôle de témoin. C’est loin de n’être que cela. Par sa maîtrise du récit, elle donne une puissance dramatique au décor qu’elle décrit à la perfection et surtout aux événements, que ce soit ce qui fait le quotidien des deux époques, des deux familles évoquées (la période argentine, la période française) ou le moment central, celui qui a motivé la romancière à revenir sur les années soixante-dix et quatrevingt, sur l’Argentine et la France, ce qui la motive à écouter celle qui est au centre et ses proches, avec un mélange de rigueur et d’empathie qui, ici, ne sont pas contradictoires mais bien complémentaires.

Le mérite supplémentaire de ce « roman » est constitué par l’originalité de sa construction : les notes prises par la narratrice, par Laura Alcoba, par la romancière, se complètent mutuellement par des points de vue qui s’enrichissent les uns les autres. Par la forêt, un roman intime et universel.

Christian ROINAT

Par la forêt, éd. Gallimard, 194 p., 18,50 €. Autres œuvres de Laura Alcoba : Manèges /  Jardin blanc / Les passagers de l’Anna C / Le bleu des abeilles / La danse de l’araignée, éd. Gallimard. Attention : Surtout ne pas lire une quatrième de couverture regrettable qui révèle, qui ruine une bonne proportion de la force du roman !