L’Amérique latine, arbitre de querelles d’Espagnols ?

Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol, et Secrétaire général du PSOE, Pablo Casado, président du Parti Populaire espagnol (PP), Sebastián Abascal, chef de Vox, formation d’extrême droite espagnole, sillonnent l’Amérique latine depuis quelques mois. Ils ne se croisent pas, mais ferraillent à distance, en terrain ibéro-américain.

Photo : Helvetica-Suisse

Au lendemain des transitions, espagnole et latino-américaines, dans les années 1980/1990, les démocrates des deux rives multipliaient les rendez-vous. L’Espagne cherchait à renforcer son influence extérieure avant d’entrer dans la Communauté européenne. Les démocrates d’Amérique ibérique avaient choisi Madrid pour consolider un partenariat des libertés avec le Marché commun. Manifestement aujourd’hui, les responsables espagnols, outre l’économie et la diplomatie, à côté de la langue et de la culture partagées, ont sur leur feuille de route, un ardent volet idéologique et combatif.

Qui a tiré le premier ? Le PSOE, le PP, Vox ? Les déplacements transatlantiques de « liders » espagnols ont pris un coup d’accélérateur en 2019. En 2019, au terme d’un marathon électoral engagé après le vote d’une motion de censure, le 1er juin 2018, PSOE et Unidas Podemos, ont constitué un gouvernement de gauche, relativement stable. Cette coalition était une première dans l’Espagne post-dictatoriale qui n’avait connu que des majorités et des gouvernements homogènes, de centre gauche (PSOE) ou de centre droit (PP). Cette première a fracturé la droite, durci un débat partisan, très vite délocalisé en Amérique.

Pedro Sánchez, au lendemain de la victoire au Mexique d’Andrés Manuel López Obrador, lui a rendu visite les 30 et 31 janvier 2019. Pedro Sánchez, pris dans les contradictions vénézuéliennes de son parti, n’a pas soutenu la tentative de médiation tentée par le Mexique. AMLO, peu de temps après, a rebondi, en exigeant des excuses de Madrid, pour les crimes coloniaux commis de 1521 à 1821. Mais le 12 juillet 2021, l’ex-président socialiste du gouvernement espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero, a participé à la création d’un groupe d’anciens responsables progressistes latino-américains, le « Groupe de Puebla », avec la bénédiction de son parti. Le PT de l’ex-président Lula a souhaité, le 11 janvier 2022, être informé en première main de la loi modifiant le Code du travail, défendu par le gouvernement de coalition espagnol, et combattu par PP et Vox . Le candidat de la gauche colombienne, Gustavo Petro, a visité l’Espagne le 29 décembre 2020. Il a dialogué à Madrid, avec le Secrétaire général de Unidas Podemos (UP), Pablo Iglesias, vice-président du gouvernement. Le 30 avril 2021 il a demandé aux Colombiens résidant à Madrid de voter Unidas Podemos aux régionales du 4 mai. Du 9 au 14 janvier 2022, il est revenu en Espagne. Il a rencontré la maire de Barcelone, Ada Colau, Ione Belarra, Secrétaire générale d’UP, Yolanda Díaz, vice-présidente du gouvernement (UP) et Pedro Saánchez, Président du gouvernement et Secrétaire général du PSOE.

Les droites espagnoles ont très vite monté des contre-feux. Le Parti populaire a réactivé les discours anti-cubains et anti-communistes de José María Aznar, président du gouvernement de 1996 à 2004, et dirigeant de la Fondation pour les études stratégiques, FAES. Son « leader » actuel Pablo Casado, a délocalisé la bataille des idées et du pouvoir espagnol en Amérique latine. Il a capté l’opposant vénézuélien Leopoldo López Gil, membre du parti Voluntad Popular, affilié à l’Internationale socialiste.  Leopoldo López Gil a été élu le 29 mai 2019, député européen sur la liste du PP. Pablo Casado a durement critiqué pendant la campagne législative d’octobre-novembre 2019 les relations du gouvernement PSOE/UP avec « Cuba, une dictature communiste ». Il a rendu visite, au nom des libertés, aux responsables libéraux-conservateurs du Cône Sud, Mauricio Macri en Argentine, Mario Abdo Benítez au Paraguay, Luis Lacalle Pou en Uruguay et Sebastián Piñera au Chili, les 8/11 décembre 2021.

Mais les offensives antigouvernementales les plus fortes sont venues de l’extrême droite, le parti Vox. Vox a pris l’initiative de contrer UP et PSOE, de passer le PP, en portant la bataille en Amérique latine. Ses responsables ont visité le Brésil, l’Équateur et le Mexique. Pour nouer des liens avec Jair Bolsonaro, Guillermo Lasso et des élus mexicains du PAN et du PRI. Ils ont offert des formations au PAN. Ils ont lancé un appel à l’union des extrêmes droites contre le Forum de São Paulo, et le Groupe de Puebla. Une lettre fondatrice du Groupe de Madrid a été adressée aux partis et leaders d’une future « Iberosphère des libertés » le 26 octobre 2020. Cette lettre a été signée, notamment, par Eduardo Bolsonaro (député brésilien, fils du président), José Antonio Kast (Front Social Chrétien du Chili, ex-candidat présidentiel), Antonio Ledezma (ex-maire de Caracas), Javier Milei (député argentin), Zoé Valdés (écrivaine cubaine) ainsi que par les représentants de partis argentins (PRO, UNIR), colombien (Centre Démocratique), chilien (parti Républicain), costaricien (Costarica Justa, Nueva República), équatorien (PSC, Suma), guatémaltèque (Creo), hondurien (Parti libéral), Mexique (PAN), Pérou (Alianza para el Progreso, Avanza País, Fuerza Popular, Renovación Popular), El Salvador (ARENA), uruguayen (Parti National), vénézuélien (Alianza Bravo Pueblo, 16 de Julio, Cuentas Claras, Repúblicos, Vente Venezuela).

Jean-Jacques KOURLIANDSKY