Préparez-vous pour les « Mâchoires » de Mónica Ojeda, roman traduit et publié aux Éd. Gallimard

L’écrivaine équatorienne Mónica Ojeda se fraye un chemin pavé de lumière à travers les lettres hispaniques depuis près de dix ans lorsque son premier roman La desfiguración Silva a remporté le prix ALBA Narrativa. Son œuvre est désormais accessible au lectorat francophone grâce à la traduction de Mâchoires [Mandíbula], son troisième roman, disponible à partir du 20 janvier 2022 aux Éditions Gallimard.

Photo : Gallimard

Mâchoires s’ouvre avec l’histoire de Fernanda, une jeune élève d’un établissement secondaire de l’Opus Dei, qui se réveille dans une cabane loin de Guayaquil (Équateur) après avoir été séquestrée par Miss Clara, sa professeure de lettres. Le suspense est à son comble dans cette première scène de confrontation entre l’ombre ravisseuse qui laisse parfois entrevoir un revolver rutilant et l’adolescente attachée à sa chaise, anxieuse et apeurée. L’intrigue principale est immédiatement complétée par une série d’intrigues secondaires où les temporalités se croisent et invitent à découvrir les histoires individuelles et collectives de ces femmes.

Ainsi, nous découvrons un monde presque exclusivement féminin dans lequel chacun des personnages fait l’expérience de la peur. Les hommes, eux, n’ont pas droit de cité dans ce roman où nous suivons les aventures de Fernanda et ses amies qui passent leur temps libre à jouer à des jeux dangereux dans une bâtisse effrayante. En parallèle, nous découvrons l’histoire de Miss Clara qui souffre de troubles anxieux depuis toujours, maux accentués par un évènement traumatisant qui lui est arrivé dans l’établissement où elle travaillait précédemment. 

« Alors, qu’est-ce qui vous fait tellement peur chez nous ? » demande Annelise, la meilleure amie de Fernanda, à Miss Clara. « Tout », aurait-elle pu répondre. Dans Mâchoires, tout est effrayant. La peur infuse les mots de Mónica Ojeda et se propage en faisant trembler les corps des lecteurs au passage[1]. Au rythme des pages, des rencontres avec les reptiles qui s’immiscent dans la bâtisse, dans la mangrove et jusque dans les rêves des personnages, au rythme des discussions et des épisodes narratifs, nous comprenons que Mâchoires n’est pas un simple roman à la trame captivante. 

« Il y a quelque chose qui relie le plaisir à la douleur et à la peur, ne croyez-vous pas ? », ajoute Annelise. Oui, il y a bien quelque chose : le style inimitable de Mónica Ojeda. Comme le dit l’autrice elle-même dans les Remerciements, « la peur, ce n’est pas le quoi mais le comment. » Le roman cristallise en cela l’ensemble de son œuvre littéraire car il propose une plongée dans le monde de l’horreur où se mêlent beauté, sadisme, désir sexuel, perversion et perversité, questions morales et psychologiques. Le lien social est également interrogé dans ce roman où les femmes ont des relations complexes avec leurs mères, où l’amitié et l’amour s’entremêlent et où violence est le maître-mot.

Mónica Ojeda est d’ores-et-déjà considérée comme étant une des autrices latino-américaines les plus prometteuses de sa génération et nous invitons les lecteurs à découvrir sa prose aussi poétique que crue et à frissonner en chœur dans ces féroces Mâchoires.

Nina MORELLI


[1] Nous faisons référence à une expression employée par l’autrice lors d’un entretien accordé aux Nouveaux Espaces Latinos publié dans notre revue trimestrielle : « Grand entretien. L’écriture qui fait trembler le corps », Nouveaux Espaces Latinos, n°301 (octobre – décembre 2019).

Mâchoires de Mónica Ojeda, traduit de l’espagnol (Équateur) par Alba-Marina Escalón, éd. Gallimard, coll. Du monde entier, 320 p., 21€.