« Un jour María del Paraná reviendra » par le Chilien Ricardo Parvex

Ricardo Parvex, Chilien, docteur en physiologie de la reproduction animale, exilé en France, ancien coopérant international, militant dans des associations pour les Droits de l’homme, écrit son premier roman : Ariel, un adolescent, étudiant dans un lycée d’une ville de province située au pied de la Cordillère, découvre l’amour.

Photo : L’Harmattan

Un jour María del Paraná reviendra fait surgir du fond de nos mémoires ces petites anecdotes qui, pour chacun, n’étaient absolument pas petites. Le petit camarade qui faisait des bêtises, mais qu’avait plus de copains que n’importe qui dans la classe ; la ‘’Missis’’ d’anglais qu’était vieille, méchante et moche ; le premier amour, platonique, jamais avoué. Le récit de María del Paraná fait ressurgir des souvenirs universels, comme celui de l’odeur du trousseau de crayons et des cahiers qu’on allait acheter avec maman à la papeterie du quartier au début de l’année scolaire.

Ricardo Parvex nous plonge dans le passé des préadolescents chiliens du début des années 1960. Une époque où tout le monde vouvoyait ses parents, au moins jusqu’à la majorité légale, fixée alors à vingt-et-un an. Époque où l’on découvrait les canutos (parpaillots) qui, s’accompagnant de guitares, chantaient sur les places des villages. Où l’on se racontait des histoires, comme celle de la Quintrala, mais dont on n’arrivait pas à faire la part entre le vrai et la légende. Des pichangas (partis de football informels) et époque où l’on s’improvisait en andinistes le temps d’un jour férié. Ariel, le protagoniste (on devine qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à l’auteur) découvre progressivement le contexte du Chili de la Guerre froide, jusqu’au coup d’État d’Augusto Pinochet.

Ariel, le prénom du protagoniste, aurait pu évoquer l’Esprit de La Tempête de William Shakespeare, ou à l’archange de la Kabbale. Mais le personnage de ce roman est tout autre, et l’intérêt réside ailleurs : il est l’archétype d’un jeune habitant d’une ville de province. Le père d’un de ses petits camarades fabrique artisanalement de l’encre qu’il vend à des établissements scolaires, une situation inimaginable (ou invisible) dans les plus grandes villes. Les amis d’Ariel étaient des enfants de riches et de pauvres, ce qui n’était pas non plus possible dans les plus grandes villes où règne une rigide ségrégation urbaine. Le livre nous apprend ce que c’était qu’être adolescent dans une ville comme Los Andes, située à quelques dizaines de kilomètres de Santiago, ville qui n’est pas nommée dans le livre, mais dont l’identité est mise en évidence grâce aux indices que l’auteur pose.

L’auteur nous rappelle que dans sa génération d’adolescents des années 1960, on a expérimenté l’obligation du port de l’uniforme scolaire gris et bleu. L’État cherchait à effacer les différences entre « collèges » de riches (qui portaient l’uniforme) et « lycées » de pauvres (qui ne portaient pas d’uniforme). La différence sémantique entre collège et lycée n’indique pas, comme en France, une différence de niveaux dans l’enseignement secondaire, mais bien une distinction sociale entre établissements privées et publiques. Comme l’expérimente Ariel avec María-Amanda, la sélection sociale entre collégiens et lycéens était (et reste) radicale. À l’époque, il y avait des enfants qui, plus au moins cachés, amenaient à l’école des petites croix gammées et d’autres gadgets nazis, mais il était impensable de voir un enfant de communiste dans un collège (privé). Dans ces derniers établissements, les enfants d’origine levantine étaient tolérés, à condition que les parents soient fortunés ; d’ailleurs, on les appelait péjorativement ‘’Turques’’, indistinctement, qu’ils soient enfants de Syriens, de Libanais, de Palestiniens et, parfois même d’Israéliens.

Comme le signale pertinemment la préface du livre, son écrit n’est pas tout-à-fait un roman, c’est plutôt un essai ou, mieux encore, un récit romancé. C’est là, dans la catégorie des sciences sociales, que réside l’apport, l’intérêt et la richesse de l’ouvrage. Il montre le Chili tel qu’il était (et, en grande partie, reste), un pays où l’on vit un racisme hypocrite ; depuis très longtemps la ploutocratie a réussi à légitimer son pouvoir sur la base du mépris du métis, c’est à dire l’immense majorité des Chiliens. C’est dans ce contexte de racisme chilien, préjugé qui ruisselle jusqu’aux couches moyennes, voire basses, qu’Ariel découvre l’histoire universelle des garçons et des filles.

Diego PÉREZ DE ARCE 

Un jour María del Paraná reviendra, de Ricardo Parvex. Préface de Sylvain Roumette, L’Harmattan, Paris, 2021, 104 p. (12,5 €)