Surnommée la « Petite Rimbaud » par l’écrivain Angel Rama pour ses échos au poète français dans ses vers érotiques, Cristina Peri Rossi est une fervente défenseuse de la pluralité des genres et du combat contre l’oppression. Revenons sur une vie qui célèbre l’amour à travers la littérature sous toutes ses formes.
Photo : Casa America Barcelona
Cristina Peri Rossi, née à Montevideo le 12 novembre 1941, est une poétesse, traductrice, nouvelliste et romancière uruguayenne. Après avoir obtenu une licence de littérature comparée, elle commence à écrire en 1963. Elle publie alors des nouvelles (Los Museos abandonados, 1968 ; Indicios pánicos, 1970) et un recueil de poèmes, Evohé (1971), qui fait scandale par son expression sans fard du lesbianisme. Alors que la dictature éclate en Uruguay en 1973, ses livres furent interdits et elle fut destituée de la chaire de littérature dans laquelle elle avait exercé durant onze années. Les militaires putschistes n’avaient pas seulement interdit la mention de son nom mais ils lui avaient également retiré la nationalité uruguayenne. Elle s’exiledonc en 1972, sous le gouvernement autoritaire de Juan María Bordaberry et, après s’être réfugiée à Paris et à Berlin, s’installe à Barcelone en 1974 où la poétesse espagnole Ana María Moix l’accueille.
Une écriture à la fois poétique et sèche, alliée à une science impitoyable de la chute, en font une nouvelliste hors pair. Parmi ses recueils, on compte La tarde del dinosaurio, 1976 ; La rebelión de los niños, 1980 (traduits et rassemblés sous le titre Le Soir du dinosaure en 1985) ; Una pasión prohibida, 1986 ; Desastres íntimos, 1997…. Elle fait souvent allusion à la répression en Amérique latine, et plus particulièrement à la dictature uruguayenne dont elle fut victime. Activiste, Cristina Peri Rossi a été désignée en 2008 par la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU comme l’autrice incarnant le mieux la lutte pour la paix et pour la justice dans le monde hispanophone.
Elle a aussi publié plusieurs romans, dont seul Solitario de amor (1988) a été traduit, sous le titre L’Amour sans elle (1997). Ses nombreux recueils de poèmes la placent parmi les poètes les plus importants de langue espagnole : Descripción de un naufragio, 1974 ; Europa después de la lluvia, 1987 ; Las musas inquietantes, 1999 ; Estado de exilio, 2003 ; Estrategias del deseo, 2004. Elle a écrit un des poèmes les plus irrévérencieux à propos des attentats terroristes qui ont changé le monde : « Le onze septembre de l’année deux mille un / a trois heures de l’après-midi, heure espagnole / un avion s’est écrasé sur New York / et je jouissais en faisant l’amour/. Les pessimistes parlaient de la fin d’une civilisation/ mais moi je faisais l’amour. »
Dans La insumisa (2019), l’auteur écrit son autobiographie dans laquelle elle se rappelle ses années d’enfance et de jeunesse. À travers les pages on perçoit une vie en conflit permanent entre le désir et la réalité, cherchant à respecter ses aspirations les plus profondes malgré les interdictions et coutumes sociales qui accompagnent le genre féminin. Et comme dans les plus beaux de ses écrits, le lecteur y trouve l’amour, le lyrisme, le drame mais aussi l’humour, un humour qui la caractérise si bien, plein de tendresse et de piété.
Elle a cette année 2021 gagné le Prix Cervantes deux jours avant ses 80 ans, le prix le plus honorable en langue espagnole. Elle est la sixième femme à l’avoir reçu après l’Uruguayenne Ida Vitale (2018), la Mexicaine Elena Poniatowska (2013), l’Espagnole Ana María Matute (2010), la Cubaine Dulce María Loynaz (1992) et l’Espagnole María Zambrano (1988). Peri Rossi fut en outre la première femme à remporter le prix Loewe (espagnol) de Poésie et le prix ibéraméricain de lettre José Donoso en 2019, entre autres.
Le juge de cette édition du prix Cervantes a souligné « l’envergure d’une écrivaine capable de refléter son talent dans une pluralité de genre ». En effet, la maison de Peri Rossi est une écriture dans un sens large, sans la prison des genres. Les thèmes qui reviennent dans les livres de l’écrivaine uruguayenne sont la rigidité du genre binaire et le questionnement de la masculinité comme pouvoir social, politique et sexuel. Le prix Cervantes donnera les moyens à cette écrivaine de continuer à écrire et à faire briller l’art de la littérature sous ses formes les plus belles et les plus réfléchies. Ainsi, « La littérature pour moi, dans cette époque si difficile du XXIème siècle, est le dernier bastion contre la frivolité et la banalité » déclare Peri Rossi.
Julie DUCOS