Le président sortant Daniel Ortega s’est offert un quatrième mandat consécutif

Exercice « démocratique » réussi pour le couple présidentielle Ortega-Murrillo. Après avoir arrêté ses principaux opposants, l’ancien guérillero sandiniste est arrivé nettement en tête du scrutin le dimanche 7 novembre. Les États-unis et l’Union européenne accusent Ortega de dictateur « organisant de fausses élections ».

Photo : El Pais

On s’attendait une élection sans effet de surprise : le président sortant Daniel Ortega a été réélu avec 75 % des voix, selon le tribunal électoral qui donne un taux de participation de 63,34 %. Pour l’observatoire Urnas Abiertas, proche de l’opposition, les données de 1 450 observateurs non autorisés présents dans 563 bureaux de vote donnent un taux d’abstention de 81,5 %, dans ce pays devenu le plus pauvre d’Amérique après la république d’Haïti. Josep Borrel, le chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE), a dénoncé le basculement du pays dans un « régime autocratique » car le scrutin s’est déroulé « sans garanties démocratiques ». 

Quarante-deux ans après une révolution qui lui a permis de diriger le pays de 1979 à 1990, tout avait été mis en place pour que Daniel Ortega et sa femme vice-présidente, Rosario Murillo, restent au pouvoir indéfiniment. Ainsi, en 2014, le président a fait procéder à une reforme de la constitution qui met fin au scrutin à deux tours, ainsi qu’à la limitation de deux mandats de cinq ans. Ce qui lui a permis de briguer un troisième mandant en novembre 2016. Dimanche dernier, le peuple nicaraguayen avait l’option de choisir entre le couple présidentiel et les cinq « micros partis », surnommés les « partis moustiques ». 

Montés de toutes pièces pour faire figure d’élection démocratique, ces partis fantômes « ne représentent quasiment rien et tous leurs candidats sont des proches d’Ortega », expliquait avant le scrutin la spécialiste du Nicaragua Maya Collombon, avant d’ajouter : « tout l’enjeu pour eux est de ne pas abîmer l’hégémonie sandiniste ». Bref, pour l’enseignante-chercheuse à Sciences-Po Lyon, c’était « un scrutin plié d’avance. On est désormais face à une élection qui n’en a que le nom, puisqu’il ne rest[ait] aucun parti d’opposition pouvant présenter un candidat, ni même accompagner et surveiller la procédure électorale. »

En effet, contrairement à son élection de 2006, le vote a été privé de surveillance indépendante. Les observateurs internationaux et plusieurs medias étrangers se sont vu interdire l’accès au pays (dont CNN et le Washington Post). Cependant, après quatorze années ininterrompues au pouvoir, le gouvernement a déployé une importante logistique visant à étayer la façade démocratique de l’élection. À la suite de la signature d’une convention entre le Conseil supérieur électoral (CSE) et l’Office de défense des droits humains, le 30 septembre dernier, le gouvernement a assuré la présence de personnel chargé de surveiller 3 100 bureaux de vote. Par ailleurs, plus de 80 000 citoyens ont été officiellement désignés en charge du dépouillement, et environ 30 000 policiers et militaires ont été mobilisés afin d’éviter d’éventuels problèmes de sécurité.

Voilà en ce qui concerne, selon Jean-Jacques Kourliandsky, le « respect des signes extérieurs électoraux ». Pour le directeur de l’observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean Jaurès, il s’agit effectivement d’une « élection à la Potemkine » puisque, « si le décor est aussi correctement planté que celui offert à l’impératrice de Russie, Catherine II, par son favori, Grigori Aleksandrovitch Potemkine […], au Nicaragua comme en Crimée un certain nombre d’acteurs essentiels sont absents. » Ces acteurs essentiels sont les plus éminents opposants prétendants à la présidence : au cours des quatre derniers mois avant le scrutin, le gouvernement a arrêté une quarantaine de citoyens à cause de leurs critiques antigouvernementales (personnalités politiques, journalistes entrepreneurs, ouvriers, étudiants et même plusieurs ex-alliés du président Ortega à l’époque de la lutte contre la dictature de la dynastie Somoza)

Dans la même vague d’arrestations figurent sept éminents candidats à la présidence, notamment Cristiana Chamorro : arrêtée le 2 juin et placée en détention à domicile. Selon un récent sondage Cid-Gallup, les deux tiers des personnes interrogées ont déclaré qu’elles auraient voté pour un candidat de l’opposition. La favorite était la fille de l’ex-présidente Violeta Barrios Chamorro (1990-1997) qui avait battu Ortega lors des élections en 1990.

Pour justifier ces mesures répressives, les autorités évoquent la sécurité de l’État en vertu de la « loi de défense des droits du peuple à l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination de la paix ». Cette loi a été votée par le Parlement en décembre 2020. Un parlement soumis aux desseins présidentiels qui a également approuvé, en février dernier, une reforme pénale permettant aux autorités de détenir jusqu’à 90 jours les personnes soupçonnées d’un crime (contre trois jours auparavant). En réalité, ce ne sont que des moyens prétendus « légales » mis en place pour couper à la racine toute velléité de candidature à la présidence. Par exemple, la loi de « défense des droits du peuple », connue sous le nom de « loi guillotine », empêche de se présenter à des élections toute personne que le régime considère comme « traître à la patrie », notamment celles qui « exigent, soutiennent et se félicitent de l’imposition de sanctions contre l’État de Nicaragua. »

La « justice » est devenue ainsi le fer de lance du couple Ortega-Murillo, ce que déplore l’ancienne guérillera sandiniste Dora Maria Téllez pour qui Daniel Ortega a progressivement « fermé tous les espaces, toutes les possibilités, et usé de tout l’arsenal de leur appareil répressif (police, juges, procureurs, lois, députés) pour exécuter une fraude électorale au ralenti ». De ce fait, Daniel Ortega et sa famille ont fait de la répression et l’abus du pouvoir de son parti – qui contrôle l’Assemblée nationale –les moyens privilégiés pour se perpétuer à la tête du pays. « Bref, l’héritage maudit du somozisme n’est pas encore totalement liquidé dans ce pays où les règles constitutionnelles et l’État de droit ne sont respectés que lorsqu’ils n’entravent pas les intérêts de la famille régnante », remarque l’ex-ambassadeur de France Alain Rouquié(1).

Cette campagne de répression sans précédent n’est que la prolongation de ce qui s’est passé lors du mouvement de protestation qui avait débuté, en avril 2018, dans plusieurs villes du pays. Lourd bilan d’une explosion sociale déclenchée par l’annonce d’un décret sur la reforme de retraites : plus de 300 morts (de nombreux manifestants atteints d’une balle à la tête), de centaines de personnes arrêtées arbitrairement et la fermeture de 90 ONG militant pour les droits humains. Depuis cette sanglante répression, environ 110 000 Nicaraguayens ont été contraints de fuir leur pays, dont plus de 20 000 sont arrivés cette année à la frontière des États-unis. Quelques 450 000 expatriés vivent actuellement dans le grand pays du Nord (population de Nicaragua : 6,5 millions d’habitants).

C’est dans le contexte des mesures prises contre l’opposition que les États-unis, l’Union européenne, et la Cour interaméricaine des droits de l’Homme ont condamné au cours de ces derniers mois l’administration Ortega. Depuis 2018, plus de 130 sanctions ont été adoptées contre des responsables et des proches du président pour leur responsabilité dans des « graves violations des droits humains », notamment un de ses fils, sa femme et vice-présidente Rosario Murillo ainsi que six autres dignitaires du régime. Lundi dernier, après l’annonce des résultats de l’élection, qualifié de « comédie » pour le président Joe Biden, le chef de la diplomatie étasunienne Antony Blinken a assuré la continuité des sanctions avec « des mesures coordonnées avec nos alliés et partenaires régionaux » pour que « les complices des actes non démocratiques du gouvernement Ortega-Murillo rendent des comptes ». Parmi ces mesures, le Congrès des États-unis vient d’approuver la loi RENACER (« re-naître » en espagnol), un outil juridique visant le couple présidentiel afin de lutter contre la corruption et des violations des droits humains.  

Eduardo UGOLINI

1. Alain Rouquié, A l’ombre des dictatures. La démocratie en Amérique latine. Albin Mic