Amérique latine : pour qui sonne le lithium ?

Le lithium est un minerai solide, particulier. Il est extrêmement léger, le plus léger de tous les éléments chimiques solides connus. Bien que léger Il peut et va rapporter gros et lourd. Il permet en effet de conserver en temps long l’électricité. L’invention de batteries électriques au lithium en 1991 a croisé la demande de véhicules propres. Les voitures électriques de demain, acteurs majeurs de la transition énergétique, ont logiquement été dotées de batteries au lithium. La demande en minerai progresse de 15 à 20 % chaque année.

Photo : Horizontes

Cette perspective fait saliver bien des gouvernements, bien des entrepreneurs, d’Amérique latine. Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Mexique, Pérou, ont en effet du lithium à revendre. Mais ils ne sont pas les seuls à rouler des regards intéressés vers ce que certains ont d’ores et déjà baptisé de nouvel or, blanc. Les puissances économiques, les fabricants de véhicules automobiles, des quatre coins du monde lorgnent de façon insistante en direction de ce nouvel Eldorado. Une question vient alors comme naturellement à l’esprit. Ce nouvel or blanc, comme son prédécesseur doré, va-t-il glisser entre les doigts des autochtones, pour tomber dans les escarcelles chinoises, allemandes, françaises, japonaises, suédoises ou étatsuniennes ?

L’histoire, nous a dit, son philosophe, ne se répète pas. Sinon comme une farce bégayante. L’Amérique latine d’aujourd’hui n’a il est vrai plus grand chose à voir avec les terres conquises par les Européens au XVIe siècle. Pour autant elle ne se bat toujours pas à armes égales dans les compétitions économiques globalisées. Et court le risque de voir s’envoler une prometteuse poule aux œufs d’or.

Une chasse au lithium est bel et bien engagée. Avec de redoutables concurrents. Et dans cette course, les entreprises chinoises ont un train d’avance. Ganfeng Lithium est à pied d’œuvre dans la province argentine de Salta.  Et dans celle, tout autant argentine de Jujuy, on trouve une autre société chinoise, Zijin Mining. Les Britanniques Bacanora Lithium sont au Mexique dans l’État de Sonora, en association avec le chinois Gangfeng Lithium. Les Canadiens American Lithium, Plateau Energy courent en solo dans la région de Puno au Pérou. Le français Eramet vient d’entrer dans la compétition. Il a annoncé début novembre 2021 la construction d’une usine produisant du lithium dans la province argentine de Salta, en opération conjointe avec le chinois Tsingshan. SERI, entreprise italienne a inauguré en 2019 à Jjujuy, en Argentine, la première usine de fabrication de batteries-lithium d’Amérique latine. La japonaise Toyota est elle aussi dans les Andes argentines, à Jujuy.

L’Amérique latine est-elle en risque d’être dépecée ? Arrivera-t-elle, avec ce nouvel or blanc, à rompre le cercle vicieux de la spoliation ? Plusieurs des États concernés s’efforcent de contrôler la ruée internationale sur leur lithium. Avec plus ou moins de succès. La Bolivie et le Mexique ont affiché un nationalisme minier initialement sans concession. Pour le président Evo Morales le lithium à 100 % bolivien, devait faire du pays l’Arabie du XXIe siècle. Le projet qu’il a défendu concernait non seulement la maitrise de l’extraction, mais aussi la valorisation locale du minerai. Il entendait en effet doter son pays d’une usine fabriquant des batteries destinées aux véhicules à moteur électrique. À cet effet en 2008 il a créé une entreprise publique, la YLB, les Gisements de Lithium Bolivien. Andrés Manuel López Obrador, chef d’État mexicain, a donné la gestion de toutes les ressources à vocation électrique à la CFE (Commission Fédérale de l’Électricité).

L’Argentine et le Chili ont choisi une voie moins radicale. Leurs gouvernements ont préféré composer avec les grandes sociétés minières. Qui sont pour leur grande majorité chinoises. Au Chili la seule entreprise nationale, SQMC, (Société minière et Chimique du Chili), a choisi en 2018 de céder 24 % de son capital au chinois, Tianqui Lithium. Les intérêts chinois sont également présents chez l’autre producteur « chilien », le nord-américain, Albermarle. L’Argentine étant fédérale, ses provinces sont compétentes en matière d’extraction minière. Trois provinces, dotées de gisements de lithium, Catamarca, Jujuy, Salta se sont associées afin de négocier la mise en valeur optimale de leur ressource minérale au sein de la Région Minière du Lithium (RML). Elles ont, on l’a vu passé accord avec des capitaux majoritairement chinois.

Un constat d’ores et déjà émerge. En dépit des lignes de résistance édifiées, les gouvernements locaux ont été contraints de passer sous les fourches caudines du marché. La Bolivie mobilisée sur un projet souverain depuis 2008, ne produit toujours pas de lithium. Elle a négocié un accord avec une entreprise disposant du savoir-faire qu’elle n’a pu à ce jour acquérir, le chinois Xinjiang TBEA. Les producteurs de voitures nord-américains ont annoncé que leurs usines mexicaines achèteraient leurs batteries électriques aux États-Unis. Contournant ainsi la CFE. Les autres ont renoncé et font au mieux, organisant comme l’Argentine depuis quelques années des congrès internationaux sur le lithium en Amérique latine. Cette ouverture a été saisie par les grands producteurs miniers occidentaux. Mais au vu de l’ensemble des projets concrétisés et de ceux qui sont en chantier, les « conquistadores » du lithium, viennent de l’ouest. Ils sont chinois, grands gagnants de cette chasse au nouvel or blanc latino-américain.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY