Manifestation historique des communautés indigènes du Brésil contre un projet de loi menaçant leurs territoires

Près de six mille autochtones se sont rassemblés la semaine dernière dans la capitale brésilienne pour former la plus grande manifestation indigène de l’histoire du Brésil. En cause : un projet de loi toujours en discussion au Tribunal Suprême Fédéral, dont l’issue pourrait déterminer l’avenir de la démarcation des territoires indigènes.  

Photo : France 24

Des indigènes de tout le pays sont arrivés à Brasilia dimanche dernier (22/08) et se sont réunis Praça da Cidadania, sur l’Esplanade des Ministères, pour participer au camp « Lutte pour la Vie » (Luta Pela Vida) organisé par l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (l’Articulação dos Povos Indígenas do Brasil – APIB). Les délégations indigènes se sont mobilisées pendant sept jours afin de « revendiquer leurs droits et promouvoir des actions contre le programme anti-indigènes en cours au Congrès national et au gouvernement fédéral ». La lutte s’articule autour du projet de loi 490 sur la démarcation des terres des peuples indigènes, la mesure la plus polémique de ce projet étant la thèse du « marqueur temporel », selon laquelle les peuples indigènes brésiliens ne peuvent revendiquer que les terres occupées avant la promulgation de la Constitution du 5 octobre 1988. 

Cette loi a été portée au Tribunal suprême fédéral (TSF) dans le cadre d’un recours extraordinaire. Il s’agit d’une action de reprise de possession intentée par l’État de Santa Catarina contre le peuple Xokleng, concernant la terre indigène Ibirama-Laklãnõ, où vivent également les peuples autochtones Guarani et Kaingang. Le 22 février 2019, le TSF a donné le statut de « répercussion générale » (repercussão geral) à l’affaire, ce qui signifie que la décision finale servira de ligne directrice pour toutes les instances de la Justice en ce qui concerne les procédures de démarcation. L’arrêt aura donc une incidence sur l’avenir de tous les territoires autochtones du Brésil. Cet argument juridique, promu par des agents commerciaux afin d’exploiter les ressources naturelles sur les terres autochtones traditionnelles, est soutenu par le gouvernement de Jair Bolsonaro qui y voit des intérêts financiers. Mardi 24 dernier, le président a ainsi déclaré que ce serait le « chaos » si la Cour suprême changeait son point de vue sur la question. « Nous n’aurons tout simplement plus d’agriculture au Brésil », a-t-il réaffirmé jeudi, dans une interview accordée à la station de radio Jornal de Pernambuco

Au début du mois, l’APIB a ainsi accusé le président Jair Bolsonaro, devant la Cour pénale internationale, de génocide contre les peuples indigènes. Outre le problème de l’absence de démarcation des terres autochtones, le document – préparé par une équipe d’avocats autochtones – souligne une série d’actions contre l’environnement promues par le gouvernement Bolsonaro, qui ont conduit à une augmentation de la déforestation et des activités illégales sur les terres indigènes. La plainte accuse également le président d’écocide, un nouveau type de crime contre l’humanité dans son ensemble. Plusieurs autres instances s’opposent à ce projet de loi. C’est le cas du Ministère Public Fédéral (MPF) brésilien, qui le considère inconstitutionnel. Mais aussi de la communauté internationale, qui exige que les institutions brésiliennes respectent les droits des peuples indigènes. En effet, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, Francisco Cali Tzay, se sont prononcés contre la thèse du marqueur temporel, considérant qu’il s’agit d’un recul des droits indigènes.  

La Cour suprême reprend aujourd’hui, mercredi 1 septembre, le cas du projet de loi 490. La question était à l’ordre du jour du mercredi 25, mais a été reportée pour que la Cour discute de la constitutionnalité de la loi d’autonomie de la Banque centrale. L’avancement de la démarcation de 303 terres indigènes, occupées par plus de 190 000 personnes, est désormais entre les mains des ministres. 

Manon MILLET-MANCUSO