Le 7 novembre prochain auront lieu les prochaines élections présidentielles au Nicaragua qui voient gagner le même candidat depuis 2006, Daniel Ortega. Afin de pérenniser sa place sur le trône du pays, le gouvernement en place multiplie les manœuvres qui mettent en pause les libertés de penser et de s’exprimer, en témoignent les nombreuses arrestations de tous les candidats de l’opposition « dangereux » et le raid contre le grand journal d’opposition La Prensa le 14 Août.
Photo : La Prensa
Après les manifestations sanglantes de 2018, réprimées durement par la police nationale sous les ordres du gouvernement de Daniel Ortega, celui-ci multiplie depuis quelques mois les lois liberticides et les gestes antidémocratiques contre ses adversaires et détracteurs afin de pérenniser sa mainmise sur le pouvoir. En ligne de mire du gouvernement en place : les élections présidentielles du 7 novembre prochain. Depuis le début du mois de juin, trente-deux opposants au président ont été incarcérés ou assignés à résidence dont sept candidats pressentis aux élections présidentielles incluant d’anciens sandinistes. On pourrait citer Cristiana Chamorro, membre de l’une des familles politiques les plus éminentes du pays et fille de l’ex-présidente Violeta Chamorro qui avait battu Daniel Ortega aux élections présidentielles de 1990. Des membres de l’opposition, des dirigeants d’ONG, des défenseurs des droits de la personne et des journalistes ont également été arrêtés.
Toute forme d’opposition au gouvernement est ainsi petit à petit évincée sous accusation de blanchiment d’actifs ou de trahison, en vertu des lois adoptées au cours des derniers mois qui visent à restreindre les libertés de la presse, d’expression et de droits fondamentaux. Le 6 août, le Conseil suprême électoral, nommé et contrôlé par le président Ortega, a disqualifié la principale formation d’opposition, le parti Citoyens pour la Liberté (CxL) sous prétexte que sa présidente Kitty Monterrey a la double nationalité américaine et nicaraguayenne. La candidate à la vice-présidence du parti, Berenice Quezada, avait été assignée à résidence peu avant. Deux autres partis, le Parti conservateur et le Parti de restauration démocratique, qui font partie de la coalition d’opposition, ont également été mis hors-jeu. Tous les grands partis d’opposition ont été exclus de la course, laissant donc en lice le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) de Daniel Ortega, son allié le Parti libéral constitutionnaliste, ainsi que cinq partis mineurs qui sont de très petites formations obtenant en général moins de 3 % des votes.
Les journaux de l’opposition font également parti des victimes du gouvernement. Le vendredi 14 août, la police a perquisitionné dans les bureaux du principal journal du pays, La Prensa, dans l’opposition. Le jeudi 12 août, le journal a déclaré qu’il devait suspendre son édition imprimée à partir du vendredi car les autorités avaient refusé de libérer les importations de papier journal, les rouleaux étant retenus à la douane. C’est le lendemain de cette annonce que la police est entrée dans les locaux. Les journalistes ont déclaré que l’accès à l’internet et l’électricité avaient été coupés pendant le raid et qu’ils avaient été empêchés d’utiliser leurs téléphones portables. Même si la police a déclaré qu’elle enquêtait sur des allégations de fraude douanière et de blanchiment d’argent par le journal, l’on peut se douter que cette action orchestrée par le gouvernement soit inscrite dans la continuité des précédentes, visant à éradiquer toute forme d’opposition dans le pays. Le média appartient en effet à la famille de Cristiana Chamorro. En plus de ce net ‘’désavantage’’ qui le place dans le viseur du gouvernement, le média n’a pas ménagé ses critiques à l’égard du gouvernement Ortega en qualifiant le président de « dictateur » à plusieurs reprises.
En 2019, un autre quotidien national, Nuevo Diario, avait dû, lui aussi, suspendre son activité pour la même raison. Les deux journaux avaient d’ailleurs abondamment couvert les manifestations massives en 2018. Selon le syndicat de presse, au moins vingt médias indépendants ont disparu sous le gouvernement Ortega à la suite de confiscations de matériel ou de fermetures forcées. Mais l’érosion de l’État de droit au Nicaragua a débuté il y a longtemps de cela. En 2014, une série de réformes constitutionnelles avaient été adoptées dont celle qui permet au leader sandiniste d’être réélu sans limites de mandats. Le parti sandiniste contrôle actuellement toutes les institutions, y compris le Conseil électoral suprême qui organise les élections. Ortega a été réélu à l’unanimité dans son parti, sans surprise, et sa femme occupera la vice-présidence pour un second mandat. En outre, le leader sandiniste jouit encore d’une certaine légitimité auprès des Nicaraguayens plus âgés qui ont vécu la révolution.
Aujourd’hui, la crise politique se fait ressentir plus durement avec une augmentation substantielle du nombre de Nicaraguayens arrêtés chaque année à la frontière mexicano-américaine (de 13 000 en 2019 à plus de 19 300 en 2020), et avec quelques 130 personnes qui demeurent incarcérées depuis la répression sanglante des manifestations de 2018. Les Nicaraguayens ne peuvent effacer de leurs esprits les images de ces manifestations, au cours desquelles 328 morts et des centaines de blessés furent enregistrées. La peur les paralyse, ils n’osent plus protester.
Le scénario actuel du Nicaragua est donc sans précédent et sans ‘’égal’’ : ni la période du dernier dictateur Anastasio Somoza dans les années 70, ni d’autres pays sous gouvernements autoritaires d’Amérique latine ne rivalisent. Il y a certes eu des prisonniers politiques à Cuba et au Venezuela mais jamais autant et dans un si court délai. Certains États ont alors annoncé qu’ils ne reconnaîtraient pas les prochaines élections présidentielles du Nicaragua et ont imposé des sanctions contre ses hauts dirigeants. Le régime s’isole ainsi de plus en plus de ses voisins, rappelant ses ambassadeurs du Mexique, de Colombie, du Costa Rica et d’Argentine après que ces États ont demandé la tenue d’élections démocratiques et la libération des prisonniers politiques. Le gouvernement a en plus perdu une grande partie du soutien populaire, du secteur privé et de l’Église catholique.
La situation du pays ne semble donc plus très représentative du symbole de liberté situé au centre du drapeau du Nicaragua, celui du bonnet phrygien. Mais peut-être les rayons du soleil et de l’arc-en-ciel entourant le bonnet sont encore suffisamment puissants pour donner de l’espoir aux victimes de l’opposition, qui se fait grandissante depuis plusieurs années, aux voix de la démocratie, de la liberté et de l’égalité afin qu’un avenir radieux se dessine de nouveau pour le pays.
Julie DUCOS