Les journalistes chiliens réclament une loi pour le pluralisme dans les médias du pays

Face à la nouvelle constitution qui sera élaborée par une assemblée constituante à partir du 11 avril prochain, diverses organisations chiliennes, dont l’ordre des journalistes (Colegio de Periodistas), se sont unies pour réclamer une loi des médias qui lutte contre la concentration et promeut le pluralisme.

Photo : Ciper Chile

En 2020, quarante ans s’étaient écoulés depuis que l’Unesco a lancé le Rapport MacBride, connu également sous le nom de Voces múltiples, un solo mundo, qui a mis en évidence la haute concentration économique dans les médias d’information au niveau planétaire et la possibilité de construire un nouvel ordre mondial qui démocratise la communication. Un rapport qui, bien que précurseur en ce qui concerne les recommandations pour impulser des politiques de communication depuis les États, rencontra une opposition aussi bien de la part du bloc capitaliste (États-Unis), principal promoteur du libre-échange de l’information, que depuis le bloc socialiste (Union Soviétique), principal instigateur de la centralisation de l’information depuis l’appareil gouvernemental.

C’est ainsi que les deux blocs aux visées impériales n’étaient pas disposés à garantir dans leurs législations, l’accès et la participation d’une partie de la société et des secteurs historiquement invisibles et persécutés, n’utilisant l’information que comme une simple marchandise et un instrument pour coloniser les peuples. Dans le cas du Chili, le Rapport MacBride ne fut pas pris en considération par la dictature, durant la décennie des années 1980. Sa constitution resta centrée sur le droit à la vie privée et à la liberté d’expression individuelle, au détriment d’un regard collectif et participatif qui concevait la communication comme faisant partie d’un processus relationnel et démocratique.

Ainsi, cette constitution soumise aux intérêts privés et faite sur mesure pour les grands groupes économiques du pays, a donné pleine liberté à un marché des médias, lequel s’est concentré de plus en plus. Ceci fut accompagné par des médias publics, cooptés par le régime militaire, qui se sont uniquement consacrés à diffuser la propagande officielle.

Le plus dramatique dans tout cela fut qu’avec le retour de la démocratie, la situation des médias se détériora encore. En effet, la concentration économique augmenta et les médias publics, comme ce fut le cas de Televisión Nacional de Chile  et de La Nación, virent leurs financements publics s’arrêter complétement, les mettant en concurrence avec les médias privés. Ceci fut une conséquence de ce qu’a réalisé la coalition de gauche sociale de marché, Concertación, dont un des grands idéologues, Eugenio Tironi, exposa que « la meilleure politique de communication est de ne pas avoir de politique de communication », mettant en lumière l’abandon total de l’État et de la possibilité de voir la communication comme un droit humain.

Les effets de ce regard dépolitisé et commercial de la communication ont entrainés la disparition d’une bonne partie des médias critiques de la dictature (Apsi, Análisis, Hoy, Cauce, Fortín Mapocho, La Época, Bicicleta) et le début d’un champ de communication stratégique, impulsé par Enrique Correa (Imaginaccion), Pilar et María de la Luz Velasco (Extend) et le même Tironi, qui ont conseillés les grands groupes économiques du pays et nettoyé leur image.

Actuellement, la concentration économique des médias d’information est à son paroxysme. Le duopole formé par les groupes Mercurio SAP et COPESA rassemble 82 % des lecteurs et 84 % de la publicité pour la presse écrite. Pour ce qui est de la radio et de la télévision, quatre conglomérats se partagent aussi le marché (Grupo Prisa, Grupo Luksic, Grupo Bethia et Grupo Dial).

Face à cela, la récente création du Bloc pour le Droit à la Communication est un grand pas. Il regroupe diverses organisations exigeant une loi des médias qui lutte contre la concentration, promeuve le pluralisme des voix, la distribution équitable des dépenses de publicité de l’État, un essor des médias communautaires et indigènes, un droit à internet, une télévision publique, éducative et culturelle, qui promeuve également des médias non sexistes ni racistes et décentralisés, et qui garantissent la protection des données personnelles.

En conséquence, l’objectif est que la communication soit vue, non comme un média, mais plutôt comme un processus du vivre-ensemble démocratique, dans lequel nous puissions rentrer en relation dans des conditions égalitaires et de manière plus horizontale, à partir de perspectives et d’expériences alternatives (féministes, socio-environnementales, plurinationales, régionales, communales, locales), abandonnant toute tentative de cooptation partisane ou commerciale de la part de quelque uns seulement.

Par chance, nous nous trouvons au milieu d’un processus constituant au Chili, dans lequel le Droit à la communication devra être nécessairement discuté par l’Assemblée constituante, élue le 11 avril prochain.

Andrés KOGAN VALDERRAMA
Traduit de l’espagnol par Julie DUCOS