Derrière le Covid, Macondo, c’est l’Amérique latine magique de Gabriel García Márquez

Covid-19, tout le monde voit bien de quoi il s’agit. Une pandémie tous azimuts. Qui n’épargne personne. Macondo, c’est l’Amérique latine. L’Amérique latine magique, mise en scène par Gabriel García Márquez, le prix Nobel de littérature colombien. 

Photo : Artistegui Noticias

Le Covid aurait fait plier les Latino-Américains. On ne le sait que trop. La presse, écrite, télévisée, les radios, les réseaux sociaux, rapportent à longueur de pages et de programmes, la létalité et les retombées dramatiques de la maladie, du Mexique à l’Argentine, du Panamá au Pérou, sans oublier l’Équateur. Toutes choses vraies.  Macondo, pourtant n’a pas dit son dernier mot. Macondo parle, et fabrique du savoir dire et vivre en dépit de circonstances contraires. Celle par exemple, de la disparition en avril 2020, d’un magicien des mots, Marcos Mundstock, génial parolier des « Luthiers ». Mais et c’est l’autre volet de la réalité, la page de créativité, réactive et sans tabous, est restée grande ouverte. Elle n’apparaît pourtant nulle part.  

Il est temps d’en rappeler les origines et l’esprit. Ils doivent beaucoup, sinon tout, à la figure de Marcelo Chiriboga. Cet Équatorien, dont le souvenir a été récemment revisité, est l’auteur du livre fondateur, La ligne imaginaire, qui aurait posé la première pierre du réalisme magique. Aurait, parce que le livre est apocryphe ; et l’écrivain équatorien, un auteur fictif. Cien años de soledad1, (Cent ans de solitude), a lui bien été écrit par un narrateur de chair et d’os, père reconnu du réalisme magique, le Colombien Gabriel García Márquez. Mais la première édition de Cent ans de solitude, exposée au Salon du livre de Bogotá, a disparu, dérobée par des inconnus, incontestablement cultivés, mais attirés par l’appât du gain.  

Tout ça c’était avant le Covid. Tout ça, malgré le Covid, a suivi son cours. Un cours picaresque avec ce couple d’aigrefins qui, en pleine pandémie, a endormi, sans violence mais avec des propos et des drogues malicieuses, un collectionneur, sis à San Miguel Chapultepec, Mexique. À son réveil, quelques rêves profonds plus tard, deux œuvres, l’une de Frida Kahlo, et l’autre de Rufino Tamayo avaient « disparu » des murs de son appartement. 

« En même temps » Macondo confirmait le lieu stratégique où se forgent les mots pour le dire. La FIL, la Foire internationale du livre de Guadalajara, la plus importante du monde hispanophone, envers et contre tous les miasmes épidémiques a tenu bon. Et ouvert ses portes du 28 novembre au 6 décembre 2020, en format réduit, avec une part de visioconférences, mais a ouvert ses portes. Trois cents littérateurs ont répondu présent, en dépit des circonstances : Salman RushdieJavier CercasLidia JorgeLeonardo PaduraSergio Ramírez

Plusieurs ouvrages, témoins de la vitalité inventive perpétuée d’un continent littéraire ont été présentés à cette occasion. En particulier un recueil de contes, écrits par vingt femmes, chacune originaire d’un pays différent. Anthologie parrainée par l’UNAM, l’Université nationale autonome de México. 

Les Académiciens, bien que confinés, n’ont pas renoncé à défier la maladie, en aidant à définir, qualifier le mal. La dernière édition du dictionnaire de la RAE (Académie royale espagnole), mise à jour par le réseau des 23 académies de la langue, a proposé toute une palette terminologique relative au Covid. « Covid » et « coronavirus », bien sûr, honneur au prédateur, mais aussi, déconfiner, et toute la gamme des inventions verbales désignant le « masque » protecteur : barbijo, barbuquejo, bozal, cubrebocas, mascarilla, tapabocas,… 

La langue de la rue tourne cela dit, plus vite que celle des académiciens. Ils ont certes également bien rempli leurs devoirs de confinés, en rendant public pendant l’été (européen) un Dictionnaire panhispanique de l’espagnol juridique, doté d’une édition papier et d’une autre numérique. Travail titanesque qui a mobilisé aux quatre coins de l’hispanophonie près de cinq cents experts. Mais, mais la pandémie a réactivé de façon débridée la soif de mots. Quito, la capitale de l’Équateur, s’est réveillée en pleine crise avec une sociabilité linguistique tombée en désuétude, réveillée par un besoin de câlins verbaux, pour affronter le Mal. Du jour au lendemain, si l’on en croit une vidéo virale de juillet dernier, les clients entrant dans un magasin, sont accueillis, ou s’adressent au commerçant, sur un « bonjour voisin » ou « voisine » (veci, vecina, vecino). 

Il y a bien sûr des rendez-vous manqués. Des mots restant sur le carreau. Les 40 000 livres du bibliophile et critique argentin Alberto Manguel, après avoir erré de France au Québec, vont finalement atterrir dans les rayonnages du Palais Pombal, mis gracieusement à sa disposition par la mairie de Lisbonne. Buenos Aires, ville du livre et des librairies a déclaré forfait. Juan Sasturain, récemment nommé directeur de la prestigieuse Bibliothèque nationale argentine, a jeté l’éponge : « les coffres sont vides ». 

                                                                         Jean-Jacques KOURLIANDSKY