Diego Maradona : vie, drame et mort d’une star du foot décédé à soixante ans à Buenos Aires

Avec la mort de la star du football argentin, Diego Armando Maradona à Buenos Aires, à seulement soixante ans, c’est l’un des plus grands joueurs du ballon rond dans l’histoire qui disparaît. Pour plusieurs, il a été le plus grand de tous. Seul le Brésilien Pelé (toujours vivant à quatre-vingts ans), à qui on l’a souvent comparé, peut lui ravir cet honneur. Ils ne se sont jamais affrontés sur le terrain, car ils appartiennent à deux générations différentes.

Photo : Marca

Les chiffres font pencher la balance en faveur du Brésilien : il a gagné trois fois la Coupe du monde avec l’équipe nationale de son pays (1958, 1962 et 1970) et deux fois la Copa Libertadores (le tournoi des clubs champions d’Amérique du sud) en 1962 et 1963, avec son club, Santos. Maradona, qui a joué surtout en Europe (à Barcelone entre 1982 et 1984, à Naples entre 1984 et 1991 et à Séville en 1992-1993), a remporté une seule fois la Coupe du monde avec l’Argentine (au Mexique, en 1986) et a une seule couronne internationale dans son palmarès au niveau des clubs, avec le Naples, en 1989. Ce titre n’était cependant pas le plus prestigieux, car il s’agissait de la Coupe de l’UEFA, de niveau inférieur à celui des clubs champions.  Au niveau du total de buts, Pelé l’emporte haut la main, avec 757 (ses supporteurs parlent de 1400, ajoutant les buts comptabilisés lors de matches amicaux) contre 346. Comme entraîneur (expérience que Pelé n’a jamais essayée) le bilan de Maradona ne fut pas reluisant : après sa retraite, il dirigea plusieurs équipes peu connues, au Mexique, aux Émirats arabes unis et en Argentine, sans remporter aucun titre. Et la seule fois où on lui confia la sélection argentine, lors du Mondial de 2010 en Afrique du Sud, ses joueurs subirent une calamiteuse élimination face à l’Allemagne en quarts de final, sur le score de 4 buts à zéro.

Maradona doit-il se contenter de la médaille d’argent? Peut-être, mais il faudrait considérer qu’il a passé la majeure partie de sa carrière dans des formations pas vraiment puissantes : Argentinos juniors dans son pays natal et Naples en Italie, ce dernier un club très moyen, n’avait jamais remporté le championnat italien avant son arrivée. Ses passages par Boca Juniors et Barcelonafurent trop brefs. Pelé, en revanche, a joué presque toute sa vie au Santos, l’une des équipes les plus fortes du Brésil.

Au-delà des chiffres, Maradona a exercé auprès des foules un attrait différent, et à plusieurs égards, supérieur à celui de Pelé, en dépit des nombreux épisodes obscurs de sa vie. Il est adoré autant à Naples que dans son pays natal. Les Napolitains n’oublieront jamais les deux championnats remportés par son équipe dans le tournoi italien, en 1987 et 1990, qui constituaient la revanche d’une ville relativement pauvre contre les grands centres urbains du nord, Milan et Turin.

En Argentine, Maradona est adoré non seulement pour ses exploits sportifs, mais aussi pour sa personnalité et ses déclarations publiques. Il s’est toujours identifié aux leaders politiques de la gauche, que ce soit Fidel Castro, Hugo Chávez, Evo Morales ou Néstor Kirchner, portant même un tatouage du Che Guevara sur son bras et un autre de Castro sur sa jambe. Après son célèbre but de la main durant la coupe du monde au Mexique, contre l’Angleterre (que l’arbitre a validé, croyant qu’il avait marqué de la tête), il déclara que dans ce match, il se sentait comme « le représentant de nos morts », faisant allusion aux jeunes soldats argentins ayant perdu la vie dans la guerre de 1982 pour la possession des îles Malouines. De la sorte, il devenait un porte-parole des revendications nationalistes argentines, sujet toujours très sensible dans son pays. Il a aussi, à plusieurs reprises, critiqué les actions des États-Unis en Amérique latine. Tout le contraire de Pelé, qui a gardé une attitude réservée, s’abstenant de critiquer la dictature militaire de son pays (1964-1985) et ne s’est pas prononcé sur les questions de politique internationale.

L’idolâtrie suscitée par Diego Maradona s’explique aussi par ses origines. Comme bien d’autres joueurs de foot, il provenait d’une famille pauvre, composée de huit frères et sœurs, ayant passé son enfance à Villa Fiorito, une banlieue du sud de Buenos Aires. À cela s’ajoute son physique de garçon de petite taille (1,67 m.) aux cheveux très noirs, semblable à celui de milliers d’autres jeunes latino-américains déshérités, qui rêvaient, comme lui, de sortir de la pauvreté et de triompher.

Son addiction aux drogues et sa vie désordonnée, tout le contraire de celle qui convient à un sportif de haut niveau comme lui,  n’a pas nui à sa popularité. Il avait commencé à consommer de la cocaïne à Barcelona, et il a continué à Naples (souvent, la drogue était obtenue par l’intermédiaire de la Camorra, la mafia du sud de l’Italie). Ceci lui valut une première suspension de 15 mois, en 1991. En pleine Coupe du monde aux États-Unis, en 1994, a été reconnu coupable d’avoir pris de l’éphédrine, écopant d’une nouvelle suspension de 15 mois. De retour en Argentine, il joua encore quelques années, mais sans connaître de grands succès. Après avoir pris sa retraite, il fut hospitalisé à plusieurs reprises, dans un état très grave, dont deux fois à Cuba, en 2000 et 2004. Mais une fois rétabli, il a continué à négliger sa santé ou malmener son corps. En 2005, il pesait 120 kilos, un poids démesuré pour lui. Chacune de ces hospitalisations était suivie avec ferveur par ses partisans, dont certains réunis dans la soi-disant « Église maradonienne », priaient pour son rétablissement. Ils voyaient peut-être en lui l’incarnation du combat de tant d’autres hommes, jeunes et adultes, qui luttent pour se sortir de la drogue et pour rester en vie.

Dans sa vie privée, Maradona connut un parcours chaotique, se comportant comme le macho latino-américain typique. Marié avec Claudia Villafañe, de deux ans plus jeune que lui, qu’il avait connue dans son quartier de jeunesse, il a eu deux filles, Dalma et Giannina. Néanmoins, avant même la naissance de sa fille aînée, il eut un enfant avec une Italienne, Cristina Sinagra, prénommé aussi Diego, ce qui provoqua une première crise dans le couple. Lors de son retour en Argentine, à la fin des années 1990, il eut deux autres enfants, d’abord Jana, en 1996, avec Valeria Sabalain – ce qui motiva son divorce d’avec Claudia – et plus tard Diego Fernando, en 2013, avec Verónica Ojeda. Dans les deux premiers cas, il nia sa paternité pendant longtemps, refusant de passer le test ADN et versant une pension aux mères suite aux décisions des juges. Cette attitude s’explique par son désir de maintenir son mariage avec Claudia, mais après que cette dernière a obtenu le divorce, il accepta de reconnaître ses trois autres enfants. Il semblerait qu’il a en eu d’autres, non reconnus, dont deux en Argentine et trois ou quatre à Cuba.

Tous ces éléments font de lui un personnage haut en couleur, sollicité à répétition par les journalistes. Sa relation avec les artistes a contribué à faire mousser sa popularité.  Maradona a côtoyé les rock stars britanniques, Bono, les Rolling Stones et Oasis. Il a, par périodes, animé une émission de TV. Pas moins de dix chansons ont été créées en son honneur, qui ont été diffusées par Spotify après son décès. Il a fait l’objet de plusieurs films, dont les plus connus sont celui réalisé par le célèbre cinéaste serbe, Emir Kusturica, en 2009, et tout dernièrement, un autre dirigé par le Britannique Asif Kapadia. Ce dernier film porte en particulier sur ses années à Naples, probablement l’étape décisive de sa vie, en bien comme en mal. Pas surprenant que la ville ait décidé de rebaptiser à son nom le stade San Paolo, où il a accompli ses prouesses sur le sol italien et où il a cimenté une bonne partie de sa légende. 

Maradona est donc un héros dans le sens tragique du terme, ayant connu la gloire, la chute et une mort prématurée. Son cas s’ajoute à celui d’autres idoles argentines, mortes jeunes ou de façon violente : le chanteur de tango Carlos Gardel (accident d’avion), Eva Perón (cancer), et Che Guevara. Il restera toujours dans la mémoire de son pays et de la planète foot.

José DEL POZO

Professeur associé d’histoire, Université Québec à Montréal (UQAM)