Rafael Correa et la justice : coupable de corruption, il est interdit d’élection à vie

La Cour suprême de l’Équateur a confirmé la peine de huit ans de prison à l’encontre de l’ex-président réfugié en Belgique depuis 2017. Il avait été désigné, mi-août, candidat à la vice-présidence au cours des élections primaires au sein d’une coalition de gauche, mais la Constitution interdit aux « personnes condamnées pour fraude, corruption ou enrichissement illégal d’être candidates à des élections. »

Photo : Peuple Dispatch

Les enquêtes menées par la justice ont effectivement transformé en fiasco sa volonté de revenir sur la scène politique. Rafael Correa, embourbé dans un imbroglio judiciaire en cours, a épuisé toutes les instances légales pour faire appel de cette décision définitive. Il ne pourra pas, en conséquence, épancher sa soif de revanche contre son ennemi juré, l’actuel président Lenín Moreno. Le 7 septembre, le parquet équatorien est passé à la vitesse supérieure en annonçant la condamnation ferme de l’ancien chef d’État. Les juges ont confirmé ainsi la peine de prison pour « corruption aggravée » prononcée en avril dernier et ratifiée trois mois plus tard par la Cour nationale de Justice d’Équateur. Avant cette date, la sentence n’avait pas de caractère exécutoire et c’est pourquoi M. Correa avait manifesté, mi-août, son intention de se représenter aux élections présidentielles en tant que vice-président du « parfait inconnu » Andrés Arauz.

Or, dans les prochains mois, la course à la présidentielle reste le fil conducteur de la politique libérale menée par Lenín Moreno. Certainement rassuré par le sort de son ex-allié, et après les émeutes qui ont secoué le pays l’année dernière, le chef de l’État poursuit son mandat avec l’idée d’aller au bout d’une perspective de réélection. Sur ce point, M. Moreno voit en effet l’horizon politique purement et simplement débarrassé du candidat de gauche, qui, selon les sondages, peut peser encore sur les urnes avec un soutien estimé à 30 % de la population. 

Ce pourcentage, certes considérable, exprime en réalité les voix de ceux qui ont bénéficié des miettes de la « Révolution citoyenne ». Ce sont ceux qui sont restés de l’autre côté du paravent correiste, ignorant ce qui se passait derrière. Durant cette période appelée « la Décennie gagnée », soit la durée du mandat de l’ancien président (2007-2017), un volume de fonds publics, estimé entre 30 et 40 milliards de dollars, fut détourné selon la Commission civique anticorruption de l’Équateur.

Or, si l’on tient compte de la multiplicité des enquêtes menées par la justice, il est légitime de se demander si l’annonce prématurée de sa candidature aux élections 2021 répondait à une vocation philanthropique ou à la recherche de l’immunité parlementaire, une fois élu. En effet, l’ex-chef d’État reste dans le collimateur de la justice dans plus d’une vingtaine de procédures judiciaires, et il fait l’objet d’une autre enquête pour l’enlèvement en Colombie, en 2012, du dirigeant de l’opposition Fernando Balda. Rappelons, au passage, que Rafael Correa est considéré comme fugitif depuis qu’il a quitté le pouvoir, en 2017, pour se réfugier en Belgique avec sa famille alors qu’il n’était alors impliqué dans aucun procès.

Dans le contexte de cette condamnation qui met un terme aux prétentions politiques du condamné, on est frappé par la célérité avec laquelle la justice a confirmé la peine de huit ans de prison l’empêchant ainsi de se présenter aux élections. Cela n’a pas laissé indifférent l’intéressé : « Ils l’on finalement fait. En un temps record, ils ont obtenu une sentence définitive pour me disqualifier en tant que candidat », s’est indigné Correa sur les réseaux sociaux. Et, oubliant l’ancien adage attribué à Publius Syrus selon lequel « la voix d’un condamné peut se faire entendre, mais ses paroles sont vaines », il a ajouté : « Je vais bien. Souvenez-vous : la seule chose qu’ils nous condamnent à faire, c’est de gagner. »

Ainsi, ce processus judiciaire vient conforter la théorie du complot contre l’ancien président, qui se considère lui-même victime de persécution politique. Pour ses acolytes, summum jus, summum injuria, justice extrême est extrême injustice. En effet, aux yeux des sympathisants de la gauche populiste, il n’y a pas de doute, la justice équatorienne agit en connivence avec le pouvoir en place, lui-même dirigé fermement par les rênes tendues depuis Washington. À maintes reprises Correa a accusé Lenín Moreno de « mouton » de la Maison-Blanche.

L’hypothèse selon laquelle derrière son procès se cache un complot orchestré par les États-Unis conforte ceux qui brandissent encore des oriflammes correistes : il importait de contrer les velléités gauchistes qui ont régné sur le Cône Sud à partir des années 2000. À cette époque-là, l’Amérique latine semblait en effet vouloir rompre avec le schéma néolibéral imposé par le FMI et s’émanciper de l’influence historique exercée par le grand gendarme du Nord. C’est pourquoi les partisans de la théorie du complot contre Rafael Correa parlent d’un « processus général où les coups pleuvent contre la gauche sud-américaine » (L’Humanité). Lula da Silva, Dilma Roussef, Evo Morales seraient parmi les victimes les plus représentatives de cette croisade antigauchiste.

Il n’empêche : la vocation philanthropique qui devrait être la motivation des dirigeants politiques ayant pour but le bien-être général, connaît certaines dérives crépusculaires qui relèvent de l’enrichissement personnel. Le cas de l’ancien président péruvien Pedro Kuczynski, par exemple, n’est que la partie visible de l’iceberg latino-américain. Comme l’a souligné Rafael Correa lui-même en mars 2019 : « Il est inévitable, quand on a dix ou douze ans de pouvoir, d’avoir des cas de corruption ». Une phrase qui explique les procès judiciaires en cours dans plusieurs pays de la région ainsi que l’existence de comptabilités dites « secrètes ». Ce sont des mots péremptoires qui invitent, en filigrane, à accepter avec résignation l’impunité historique qui a façonné l’Amérique latine telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Eduardo UGOLINI