Amérique latine : vers une nouvelle décennie perdue  ? Les voyants sont au rouge…

Les voyants sont au rouge de la ville de Mexico à celle de Santiago du Chili. Économie, santé, social, les mauvais signaux se succèdent de semaine en semaine. Le Secrétaire général des Nations unies, la Secrétaire générale de la Commission économique de l’ONU pour l’Amérique latine (CEPAL), et la Secrétaire générale de l’organisation ibéro-américaine (SEGIB), ont ces derniers jours alertés sur l’urgence de la situation. 

Photo : France24

Les experts de tous bords, à peu de choses près, ont délivré leurs prévisions pour 2020. L’Amérique latine va connaître une décroissance majeure. Les chiffres ne sont pas exactement les mêmes mais tous confirment la tendance, négative. Moins 7,2 % pour les uns, la Banque mondiale, moins neuf ou dix pour cent pour d’autres, l’ONU. Et ce dans un contexte qui, déjà en 2019, était particulièrement morose. 

De façon plus terre à terre, cela veut dire que les secteurs économiques moteurs de ces pays sont, au mieux, au ralenti. L’Amérique latine subit de plein fouet le ralentissement de l’activité internationale. Ses produits primaires ne trouvent plus ou beaucoup moins d’acheteurs. Perturbées par le coronavirus, les industries transformatrices asiatiques, européennes et nord-américaines ont suspendu ou étalé leurs achats. La chute des exportations pourrait atteindre en 2020, -20 %. Et le secteur du tourisme est paralysé puisque pour des raisons sanitaires évidentes, le trafic aérien et les croisières maritimes ont été suspendus.  

Le constat est identique d’un pays à l’autre. La croissance estimée pour 2020, selon la Banque mondiale, sera négative partout : -3,9 % au Chili, -4,9 % en Colombie, -7, 4 % en Équateur, -7 % en Argentine, -8 % pour le Brésil, -9 % pour le Mexique et -12 % au Pérou. 

Avec malgré tout quelques variantes. L’Argentine, par exemple, a affronté la Covid-19 en situation d‘urgence. À la fin 2019, le gouvernement sortant de Mauricio Macri avait transmis à son successeur, Alberto Fernández, un pays lourdement endetté et en décroissance. Le Chili, la Colombie et l’Équateur étaient à ce moment-là en état de choc et bousculés par des manifestations. Quant à Cuba et au Venezuela, deux pays aux économies fragilisées, ils subissaient de plein fouet les sanctions renforcées des États-Unis de Donald Trump

La dominante historique du marché, régulé au minimum par les États, est à l’origine de sociétés structurellement inégalitaires. Le travail salarié y est minoritaire et, avant la crise de la Covid-19, la majorité des gens, 51 % selon l’Organisation internationale du travail (OIT), travaillaient au jour le jour, dans la rue, sans vraie protection sociale ni habitat convenable. Or, en 2020, après une cascade d’alternances gouvernementales vers la droite, les acquis sociaux étaient sur la sellette ou au mieux « stabilisés ». 

Dans un tel contexte, la pandémie a dévasté le secteur formel. De grandes entreprises aériennes ont mis la clef sous la porte. Avianca et Latam se sont déclarées en cessation de paiement. Aerolíneas Argentinas devrait licencier 7 500 de ses salariés. Dans les secteur minier et énergétique, les « boites » tournent aussi au ralenti comme Codelco, Pemex, Petrobras et Vale. Un gros exportateur argentin de grains est en cessation de paiement. Condamné par le confinement, le travail informel a périclité. Conséquences ? La CEPAL a estimé que 2,7 millions d’entreprises pourraient disparaître en Amérique latine en 2020.  

Les pertes d’emplois se comptent déjà par milliers. Et selon la BID (Banque interaméricaine de développement) et la CEPAL demain en millions. 15 % des emplois pourraient disparaître à Panamá par exemple. Avec comme conséquence dans une région du monde sans gestion sociale digne de ce nom, un risque grave de régression, d’accroissement de la mortalité et d’une réapparition de carences alimentaires sévères. Le taux de pauvreté, selon une information divulguée par l’ONU le 8 juillet, devrait faire un bond de 7 %. Soit 37,2 % de la population totale du sous-continent. 

En catastrophe, les autorités ont essayé de combiner confinements localisés et création de programmes d’urgence pour les populations en détresse. Mais comme l’âne de Buridan, compte-tenu des réalités structurelles, ils n’ont réussi, ni à contrôler la pandémie, ni à maintenir un minimum d’activité économique. L’Amérique latine est aujourd’hui, au mois de juillet 2020, le principal foyer mondial de l’épidémie. 70 000 décès au Brésil, 35 000 au Mexique, 12 000 au Pérou et la tendance est à la hausse. L’Amérique latine, on l’a vu, est par ailleurs économiquement mal en point. Et, du fait de la persistance de la pandémie, loin de pouvoir bénéficier d’une reprise de la demande extérieure de ses productions. 

La prise en compte de ces seuls éléments justifierait l’appel d’Antonio Gutierrez, Secrétaire général de l’ONU, de Rebeca Grynspan, Secrétaire générale du SEGIB et d’Alicia Bárcena, Secrétaire générale de la CEPAL. L’Amérique latine, disent-ils, doit, au plus vite, revoir son modèle de développement, sa fiscalité et son cadre social. Un défi qui suppose volonté politique et accompagnement financier extérieur. Mais il y a un « hic ». Considérés comme des pays d’économies intermédiaires, l’Amérique Latine n’est pas sur le dessus de la pile des urgences économiques et sociales internationales. Pourtant, les responsables de l’ONU, de la CEPAL et du SEGIB, sont formels : « l’Amérique latine a besoin d’une aide extérieure pour sortir de la crise » Le président Trump, les yeux sur son nombril électoral a d’autres chats à fouetter. La Chine n’en a fini ni avec le coronavirus, ni avec la question de Hong Kong. L’Europe est prise dans ses querelles entre « nordistes » soi-disant fourmis gestionnaires et « sudistes » cigales dépensières. Alors que le FMI, le G7, le G20 et l’OMC, après quatre années de coups de butoir démolisseurs de Donald Trump sont largement hors-jeux.  

Jean-Jacques KOURLIANDSKY