Lecture d’ « Inventaire d’inventions (inventées) » d’Eduardo Berti et Monobloque aux éd. La Contre-Allée

Si la machine d’environ 750 pièces imaginée par Pierre Dac (ré-imaginée des années plus tard sous le nom de Schmilblic) et simultanément inventée par un habitant de Los Angeles n’entre pas dans l’Inventaire de Jacques Prévert, elle figure en tête de cet Inventaire d’inventions (inventées) que proposent Eduardo Berti, Dorothée Billard et Clemens Helmke (Monobloque), le texte étant du premier et les illustrations débridées des deux autres.

Photo : Ed. Do

Où donc va se réfugier le pur génie ? Un peu partout, nous dit Eduardo Berti. Dans l’absurde, souvent (la savonnette qui, cloutée, ne glisse pas entre les mains) mais aussi dans la pratique, parfois (il aurait fallu attendre le milieu du XXème siècle pour qu’on pense à rallonger le manche de certains pinceaux, ce qui aurait enfin permis d’atteindre les angles les plus éloignés). Même le grand Léonard s’est payé le luxe de quelques inventions sans même que leur usage soit envisageable. En 2008, une machine a été capable d’écrire (en trois jours) une variante d’Anna Karénine dans le style de Murakami. Génie ou massacre ? Rêve ou réalité ? Au lecteur de décider, s’il le souhaite, surtout s’il devine que, parmi la centaine d’« inventeurs » mentionnés dans cette vaste récapitulation, certains ont été inventés par Eduardo Berti.

Cet inventaire est inépuisable. On y trouve des allusions littéraires qui nous font croiser, durant l’espace de quelques secondes ‒ une ou deux lignes ‒ ou de plusieurs pages l’argentin J.R. Wilcock, Raymond Queneau et Paul Fournel, frères oulipiens d’Eduardo Berti, ou encore Edgar Poe. Mais on y trouve aussi des pensées profondes, loufoques, profondément loufoques ou réciproquement. Les dessins, les esquisses sont en tout point pareils aux textes tout en se rapprochant de l’ésotérisme. Souvent pleins de poésie, ils semblent jouer à un autre jeu et ne sont pas toujours présentés dans un ordre logique : la Marelle du grand maître joueur, Julio Cortázar, n’est pas loin du tout ! Cela prouve en tout cas que Vérité, avec un grand V, et farfelu font un remarquable ménage dont le divorce n’est pas pour demain.

En compagnie d’Eduardo Berti et de ses deux compères, on parcourt une espèce de marché aux puces dans lequel le ratage spectaculaire voisine avec le grand luxe. Comme aux puces, nous ne sommes pas obligés de suivre un itinéraire imposé : il est permis de muser d’un dessin à l’autre sans aller retrouver ce à quoi sert l’objet ou ce que peut bien représenter le schéma, d’errer, comme dans Marelle, de laisser une phrase prise au hasard germer et éclore d’une idée qui ne nous serait jamais venue en tête, voilà le plaisir offert par Inventaire d’inventions (inventées) !

Christian ROINAT

Inventaire d’inventions (inventées) d’Eduardo Berti & Monobloque, traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu, éd. La Conre-Allée, 205 pages, 24 €.

Eduardo Berti en espagnol : Inventario de inventos (inventados), breve catálogo de invenciones imaginarias / Un padre extranjero / Faster : más  rápido / El país imaginado, ed. Impedimenta, Madrid / La vida imposible / Los pájaros, ed. Páginas de espuma, Madrid /Todos los Funes, ed. Anagrama, Barcelona / Agua : La mujer de Wakefield, ed. Tusquets, Barcelona.

Eduardo Berti en français : L’ombre du boxeur / Tous les Funes / La vie impossible / Le pays imaginé / Madame Wakefield, éd. Actes Sud / Une présence idéale, éd. Flammarion / Le désordre électrique, éd. Grasset / L’ivresse sans fin des portes tournantes, éd. le Castor austral.