L’Équateur en temps de Covid-19 : une gestion inepte et néolibérale de la crise

Au milieu d’une crise économique et sanitaire, le gouvernement équatorien n’hésite pas à profiter de l’incertitude pour faire passer des mesures néolibérales, comme celles qui l’ont ébranlé si violemment en octobre lorsqu’on a essayé d’éliminer les subventions sur les carburants, comme mesure de garantie pour le prêt du Fond Monétaire International (FMI). Alors que l’Équateur est proportionnellement un des pays les plus touchés du monde, le gouvernement démontre systématiquement son incompétence face à la crise. 

Photo : Challenges

Avec plus de trois mille morts pour une population de dix-sept millions, l’Équateur est un des pays les plus gravement touchés par la pandémie au monde. Les systèmes de santé et funéraire du pays ont rapidement collapsé lorsque le virus a commencé à avancer mais le coup de grâce pour la population équatorienne est la ridiculement incompétente gestion de la crise par le gouvernement. Dans la ville la plus frappée, Guayaquil, la maire Cynthia Viteri n’est pas capable de freiner l’avancée de la crise.

Cynthia Viteri est issue du parti Social-Chrétien (PSC), parti de la droite traditionnelle qui est arrivé à la présidence une fois avec son leader León Febres-Cordero (1984–1988) et qui maintient une hégémonie permanente sur la ville de Guayaquil depuis 1992. León Febres-Cordero est connu pour son caractère quasi-autoritaire et ses efforts pour mettre en place des mesures néolibérales. Cela est clairement reflété à Guayaquil où le système public est mis de côté par le PSC. Dans cette ville, le système d’eau potable fait l’objet d’une concession en faveur d’une entreprise privée (Interagua) depuis 2001. Pendant la crise, l’ancien maire de Guayaquil et héritier idéologique de Febres-Cordero, Jaime Nebot, a tenté de reprendre le relais en formant un Comité d’urgence privé. C’est ainsi que Guayaquil fonctionne depuis longtemps, avec des juntes de bienfaisance, des patronats, etc. Mais il est clair que le modèle néolibéral du PSC n’est pas du tout fructifère. Depuis les manifestations d’octobre, le gouvernement de Lenín Moreno et les élites du PSC avaient une alliance tacite, laquelle a été détruite à cause de la crise du Covid-19. La mairie de Guayaquil, ne parvenant pas à contrôler la crise, fut l’objet de nombreuses critiques, dont celles du gouvernement, ce qui finit par établir une distance entre le PSC et le gouvernement. 

Cependant, le gouvernement central a aussi échoué face à la crise. Moreno a mis en place des mesures qui affectent d’abord le travailleur. Par exemple, il a fermé plusieurs entreprises publiques, laissant au chômage des centaines de travailleurs. Il a décidé, avec un avis défavorable du public et de l’Assemblée Nationale, de payer l’échéance des bons Global 2020, pour une somme de 324 millions de dollars. Par ailleurs, les aides destinées aux secteurs plus vulnérables de la population que prévoit le gouvernement sont quasi inexistantes. Une allocation de 60 dollars par mois et par foyer pour tous ceux qui gagnent moins de 400 dollars par mois a été mise en place mais ceux qui bénéficient déjà de l’allocation appelée Bono de desarrollo humano, c’est-à-dire les classes les plus pauvres de la population, ne sont pas admissibles pour la nouvelle allocation. Pour contextualiser, la Canasta básica familiar (1) tourne autour des 700 dollars.

Le gouvernement a aussi accepté une « aide d’urgence » de la part du FMI pour une somme de plus de 600 millions de dollars alors que les conséquences des manifestations d’octobre se font toujours ressentir dans le pays. Un de nos rédacteurs, Eduardo Ugolini, a développé ce sujet dans un article de notre newsletter de la semaine dernière (2).

Parmi ces mesures, une des plus impopulaires est celle de diminuer de manière importante le budget de l’éducation publique. L’exécutif souhaitait retirer autour de 98 millions de dollars du budget de trente-deux universités et écoles polytechniques. À Quito, des mouvement sociaux se sont produits, en respectant les règles sanitaires, contre ces mesures. La Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) s’est prononcée contre cette mesure, avertissant des « conséquences négatives de la-dite décision, par rapport à l’accès et la qualité de l’éducation pour des milliers d’étudiants équatoriens, et à la validité des droits de travail des enseignants et du personnel ». Toutes ces compressions budgétaires ont l’approbation et la garantie d’économistes et politiciens néolibéraux, tel qu’Alberto Dahik, ancien vice-président.

L’administration de Rafael Correa a tout de même des répercussions néfastes pour la crise aujourd’hui. Jusqu’en 2006, il y avait quatre fonds d’urgence en Équateur, faits avec les surplus de la vente de pétrole. Mais Correa, lors de son arrivée au pouvoir, a décidé de dépenser ces épargnes, en affirmant que « la meilleure épargne est l’inversion ». Et ce n’est pas la première fois que ces fonds ont manqué : lorsque le prix du pétrole a chuté en 2013 et lors du tremblement de terre de 2016, des impôts et des mesures du même acabit que celles d’aujourd’hui ont dû être mises en place. L’austérité est bien à l’ordre du jour depuis longtemps en Équateur.

La crise a donc de lourdes conséquences sur les travailleurs. Comme le dit Alexis Medina dans son article « Le coronavirus en Équateur II. Crise sanitaire et stratégie du choc » (Mediapart) : «le gouvernement tarde à payer les enseignant·e·s, […] il s’entête à taxer davantage le travail que le capital et […] il se prive de futures ressources fiscales en en privatisant la gestion ». Cette gestion néolibérale qui ne cesse de privilégier le marché et le capital, au lieu de mettre en place des soutiens pour les couches plus vulnérables de la population, montre qu’en fait il n’y a eu aucune rupture entre la « longe nuit néolibérale » dont parlait Correa et l’époque d’Alianza País au gouvernement, soit entre Correa et Moreno.

Le dimanche 24 mai 2020, Moreno commence sa quatrième et dernière année à Carondelet, le palais présidentiel à Quito, avec un pourcentage d’approbation et de crédibilité de 14,7 % (alors qu’il atteignait en août 2017 un inédit 77 %). Il est clair que l’administration de Moreno n’est pas satisfaisante selon le peuple équatorien. Il est donc impossible pour lui d’envisager une réélection. Cependant, son vice-président, Otto Sonnenholzner, a bien profité de la crise pour se démarquer dans l’opinion publique. Par ailleurs, il paraît que Jaime Nebot vise aussi les élections de 2021. Il semble que c’est tout ce que cette crise a apporté aux équatoriens, une opportunité de campagne électorale, dans la même logique de la partidocracia et du néolibéralisme alors que le travailleur, l’enseignant, l’étudiant, sont ceux qui souffrent des conséquences d’un gouvernement qui favorise le capital et pas l’individu. « Sous prétexte d’urgence sanitaire, le gouvernement de Moreno et les patrons ont déchaîné une furibonde guerre de classe contre les travailleurs. L’état d’urgence est un outil pour gouverner « légalement » par-dessus la loi. […] Tandis que les patrons qui apparaissaient comme des philanthropes feront passer leurs dons pour un acompte fiscal, on jettera les coûts de la crise sanitaire sur le dos des travailleurs », affirme le sociologue Mario Unda.

Nicolás BONILLA CLAVIJO

(1) Le prix de l’ensemble des produits de base pour une famille de quatre personnes.
(2) Retrouver l’article ici.