« Les pompiers-pyromanes du FMI » à la rescousse de l’Équateur, un pays submergé par la pandémie du Covid-19

L’Équateur recevra 643 millions de dollars (573,7 millions d’euros) de la part du Fonds monétaire international. Une « aide d’urgence » pour le gouvernement de Lenín Moreno, qui doit faire face à une adversité munie de trois têtes : l’épidémie du coronavirus, la chute des prix du pétrole et le mécontentement populaire en pleine ébullition.

Photo : Revista Gestión Ecuador

Ce que certains appellent « aide d’urgence » est en réalité un euphémisme visant autant à ternir l’image du dit « gardien de la stabilité financière internationale » qu’à édulcorer la colère de la population. Il s’agit officiellement d’un Rapid Financing Instrument (RFI), c’est-à-dire d’un dispositif de financement de dernière instance octroyé aux pays au bord du collapsus socio-économique. La nouvelle de l’accord avec le Fonds monétaire international, malgré le fait que l’attention populaire est concentrée sur le Covid-19,  n’a pas été digérée par les équatoriens. 

Et ce mécontentement ne cesse de grandir depuis octobre dernier. Pendant presque deux semaines de violences et de blocage du pays, le président Lenín Moreno avait finalement renoncé à la suppression des subventions au carburant. Une mesure imposée par le fonds, après la confirmation d’un premier prêt-soupape, conclu en mars 2019, alors que la pression populaire commençait à dépasser les limites budgétaires du gouvernement. Bilan des manifestations : 1 340 blessés, huit morts et des pertes économiques d’environ 1,5 milliards de dollars. 

À ces victimes de la répression s’ajoutent aujourd’hui celles du coronavirus, avec plus de 30 000 cas, dont 1 800 décès. Des chiffres officiels très en deçà de la réalité. Premier pays latino-américain frappé par l’épidémie, l’Équateur a rapidement été débordé par les contagions, ce qui a provoqué l’effondrement des systèmes de santé et funéraires. Conséquence : des milliers d’habitants ont été abandonnés à leur sort. Les images des cadavres laissés dans les maisons ou gisant dans les rues de la capitale économique du pays (Guayaquil) ont fait le tour du monde.

Le président a finalement reconnu que, « dans la phase initiale, nous avons eu des problèmes dans la gestion des morts ». Lenín Moreno s’est justifié de l’échec de sa gestion avec une sous-couche de démagogie en déclarant que ces problèmes ont surgit « parce que nous avons pris la décision de donner une sépulture digne à chaque Équatorien, non comme dans d’autres pays qui ont ouverts des fosses communes ». Pourtant, une catastrophe sanitaire était largement prévisible : en moyenne, l’Équateur disposait de quinze lits d’hôpital pour 10 000 habitants (selon le rapport 2019 du programme des Nations unies pour le développement).

Dans le même élan d’une rare sincérité, le président a admis que « les statistiques officielles ne reflètent pas la réalité ». Cela veut dire que des dizaines de milliers de personnes pourraient être contaminées et, selon le New York Times, le nombre de morts serait quinze fois supérieur au bilan officiel. Ces chiffres inquiétants trouvent un écho dans la déclaration de Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, qui s’est exprimée sans détour sur l’objectif de l’accord financier : « La protection des pauvres et le renforcement du filet de sécurité sociale sont des priorités centrales du gouvernement au moment de cette crise des soins de santé ». La nécessité d’agir vite est encore plus urgente quand on sait que, sur un total de 17 millions d’habitants, seulement 400 000 ont droit à l’assistance publique. 

Troisième tête du Cerbère gardien de l’enfer dans lequel vivent les Équatoriens : la chute des prix du pétrole et de la demande mondiale. Avec 70 % de sa production destinée au commerce extérieur, d’un total de 500 000 barils extraits par jour, l’Équateur est un des premiers exportateurs en Amérique latine. L’effondrement du marché a eu des conséquences économiques dévastatrices qui font craindre une augmentation de l’instabilité sociale. C’est pourquoi ce prêt peut aussi être considéré comme un exutoire à la toujours latente révolte populaire.

De son côté,  le gouvernement équatorien a sans doute voulu rassurer les réfractaires du FMI sur la destination des 643 millions de dollars, sans oublier le total de 4,2 milliards accordés l’année dernière. Dans une déclaration de circonstance, le ministre des Finances et de l’Économie a employé cette phrase copier-coller qui n’est plus crédible pour personne: « ce financement permettra d’apporter les liquidités nécessaires pour relancer la production et l’emploi ». Ces mots usés jusqu’aux coudes ont déjà été prononcés ailleurs lors des accords similaires signés par d’autres responsables politiques, comme par exemple en Égypte, en Grèce, en Tunisie et en Argentine avec des résultats catastrophiques. 

Facteur aggravant l’image du prêteur international : en contrepartie de son « aide » financière, aucune mesure gouvernementale ne peut être mise à exécution sans son aval. Devenu un synonyme de rigueurs budgétaires et des conséquents vaguees de protestations massives, voici ce propos d’un citoyen équatorien qui reflète le sentiment de la grande majorité des latino-américains envers le FMI : « Soyons précis, le président de l’Équateur va recevoir une aide de 643 millions, il va repeindre sa villa, commander quelques limousines blindées, agrandir sa piscine, payer aux banquiers des intérêts et au bout de la chaîne les Équatoriens recevront : absolument rien. »

L’époque où les représentants de Washington étaient reçus à bras ouverts en Amérique latine est un souvenir lointain qui s’efface peu à peu. On songe au président Franklin D. Roosevelt, lors de sa visite à Buenos Aires en 1936, parcourant les rues en voiture décapotée et adulé par la foule. Une chose inimaginable aujourd’hui. Après des décennies d’ingérence dans les économies locales, tout accord signé avec le grand gendarme du Nord est automatiquement rejeté. Et c’est pourquoi le FMI joue le rôle de pyromane aux yeux des millions de latino-américains qui, élections après élections, deviennent des chiffres augmentant les taux de pauvreté.

Pour celles et ceux qui se demandent quel est le rôle du gardien de la finance international sur le destin des peuples qu’il est censé aider, Jean Ziegler (1), rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, apporte un témoignage fort instructif :   « Lors d’une récente visite à Washington, j’ai retrouvé d’anciens étudiants des Universités de Genève et de Berne, actuellement en poste au FMI. Un paradoxe m’a frappé : ils ignorent la vie de la plupart des êtres vivant dans les pays dont ils « conseillent » le gouvernement. […] La plupart des fonctionnaires du FMI habitent dans les banlieues chics de Washington, à Georgetown pour les hauts gradés, dans les bourgs de la Virginie toute proche pour les cadres moyens. Et ils vivent en quasi-symbiose avec les fonctionnaires américains du Département du Trésor, sirotent l’idéologie des « treasury boy » à chaque cocktail dominical dans chaque country-club de Virginie. Ils jouent au golf avec eux. […] Avec une émouvante mauvaise foi, les pompiers-pyromanes du FMI vous disent volontiers : mais nous respectons scrupuleusement la totale souveraineté de chaque État. Nous n’imposons rien à personne. Vous nous accusez à tort ! Au sens strict ils ont raison ! Le mécanisme de vassalisation qu’ils mettent en œuvre sauvegarde en effet les apparences de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États. […] Les 183 États-membres [du FMI] votent chacun selon leur pouvoir financier, « One dollar – One vote ». Ce qui fait que les États-Unis détiennent 17 % des droits de vote. Leur puissance financière leur confère un poids déterminant au sein de l’organisation. Les mercenaires du FMI sont un peu les sapeurs-pompiers du système financier international. Mais, à l’occasion, ils n’hésitent pas à se faire pyromanes… ».

Eduardo UGOLINI

(1) Jean Ziegel, Les nouveaux maîtres du monde, Editions Fayard, 2002.