Pour qui l’heure du coronavirus sonne-t-elle ? 
Le Brésil est aujourd’hui le quatrième foyer mondial de la pandémie

18 mai dernier, rien ne va plus semble-t-il dans la Maison Brésil. Le coronavirus affole les statistiques. Le Brésil est aujourd’hui le quatrième foyer mondial de la pandémie. D’ici, à gauche, de là côté droit, fusent les appels angoissés : Y-a-t-il un pilote dans l’avion Brésil ? Les uns et les autres s’alarment. L’aéronef ne va-t-il pas s’écraser emportant dans la catastrophe, équipage et passagers ? Mais les jeux sont-ils faits de la même manière pour les uns et pour les autres ?  Le Président, Jair Bolsonaro, sa légion de généraux- ministres, les supplétifs du gouvernement, – évangélistes pentecôtistes, et adeptes d’idéologies d’extrême-droite -, les chefs d’entreprise, le patronat de Saint-Paul, le parlement, les chefs de factions partisanes, les classes moyennes, le peuple des favelas et des quilombos, les autochtones d’Amazonie, sont-ils logés à la même enseigne ? 

Photo : The Conversation

À vue de nez, la maladie ne fait pas de détail. Le glas sonne pour tous. À un rythme de plus en plus soutenu. 5 à 6 % de nouveaux cas chaque jour. La courbe des personnes contaminées, hospitalisées, décédées est bien droite dans ses bottes. 202 918 malades le 13 mai. 218 000 le 15 mai. 13 993 décès comptabilisés le 13 mai. 15 300 le 18. Les États riches, les mieux connectés au monde global, à son économie et ses modes de vie, États les plus riches sont les plus touchés. Le 13 mai il y a eu 4118 personnes mortes du covid-19 à Saint-Paul. 2050 à Rio de Janeiro. Bien que moins affectés les États les plus pauvres, Amazone, Nord-Est sont pourtant ceux qui connaissent des situations sanitaires désespérées. Les services d’urgence de ces États sont en effet saturés, en clair incapables d’accueillir de nouveaux patients depuis le 10 mai. Les lits des services d’urgence étaient en effet ce jour-là occupé à 90 % dans les États d’Amazone et Ceara, 94 % dans le Para, 97 % dans le Maranhao, 98 % dans le Pernambouc. 

Le chef de l’État sourd à toute politique d’urgence sanitaire défend mordicus la nécessité de faire comme si tout était normal. « Bien que m’appelant Messie (Jair Messie Bolsonaro) je ne fais pas de miracle. Autant donc travailler pour ne pas mourir de faim », a-t-il dit en public. Il a tout au long de la crise multiplié le contact avec la rue. Défendu les mesures défensives les moins restrictives. Signalant un jour que les temples et les églises étaient des services essentiels devant rester accessibles. Et un autre que les salons de beauté, les centres de remise en forme l’étaient aussi. Il a perdu deux ministres de la santé pas du tout convaincus par les trous de ce confinement ou l’enthousiasme manifesté sans validation médicale sérieuse à la prise massive de chloroquine. L’OMS qui rappelle la priorité de la raison scientifique et de la préservation de la vie, a été censurée de la façon suivante par Ernesto Araujo, ministre des affaires étrangères brésilien : « L’OMS (..) n’est que le premier pas vers la construction de la solidarité communiste planétaire (…) Comme si affronter le coronavirus n’était pas suffisant, nous devons affronter aussi le comunavirus ».

Ces partis pris négationnistes ont été censurés. Non seulement par les opposants, de gauche et de centre gauche, mais aussi par beaucoup de ceux qui avaient aidé Jair Bolsonaro à gagner les élections. L’ex-président Fernando Henrique Cardoso, membre du parti de centre-droit PSDB, le 11 mai a critiqué un président « se livrant à de pathétiques galipettes ». Joao Doria, gouverneur de l’État de Saint-Paul, coreligionnaire du PSDB, le 14, a frappé plus fort, regrettant vivement « l’incapacité du président à comprendre la dimension de sa charge (…) le président pense que gouverner (…) c’est administrer sa famille ». Wilson Witzel, gouverneur de Rio de Janeiro, représentant d’une formation plus à droite, après la démission du deuxième ministre de la santé, Nelson Teich, a ouvertement appelé à ignorer le chef de l’État : « La crise de la pandémie » a-t-il déclaré, « doit être gérée par les gouverneurs et par les maires ». C’est de fait à ce à quoi on assiste. 24 des 27 gouverneurs, de droite comme de gauche, ont confiné la population de leurs territoires. Et refusent de donner suite aux appels de Jair Bolsonaro à la reprise du travail. Le 11 mai les responsables de Bahia (PT), du Ceara, d’Espiritu Santo, du Maranhao, du Para, de Rio de Janeiro, de Saint-Paul, ont refusé comme le souhaitait le président de considérer salons de beauté et centres de remise en forme comme des activités essentielles.

Le président a fait appel devant les tribunaux. Qui lui ont donné tort. Les revers judiciaires de Jair Bolsonaro se sont multipliés. Le STF, Tribunal Supérieur Fédéral a confirmé la compétence des États et des municipalités sur les décisions de confinement et déconfinement. Il a contraint le président à communiquer son test coronavirus, qu’il refusait de rendre public. Et comme un malheur ne vient jamais seul, à la suite de la démission du ministre de la justice, Sergio Moro, le gouvernement a été contraint de communiquer le contenu d’un conseil des ministres révélant la tentative du président de nommer un ami comme délégué de la police fédérale à Rio de Janeiro en vue d’étouffer une enquête visant à vérifier les liens éventuels de la famille Bolsonaro avec les mafias locales de mercenaires. 

Ce lâchage des juges qui avaient contribué, du moins certains d’entre eux, à neutraliser le PT et l’ex-président Lula, en forçant les faits pour valider l’équation corruption = PT, met à nu le président et le récit construit pour lui permettre d’accéder au pouvoir. La grande presse qui avait contribué à valider l’équation accompagne le changement de cap. Le quotidien de Rio, Jornal do Brasil titrait le 15 mai, le « Brésil est victime d’une pandémie politique ». L’hebdomadaire Veja , de São Paulo, fustigeait le même jour « le désordre de la quarantaine ». Le parlement a été saisi d’une trentaine de procédures visant à destituer Jair Bolsonaro, venant de droite comme de gauche. Son président, Rodrigo Maia, du parti DEM (droite), a multiplié les critiques sur la manière dont le président et son gouvernement « gèrent » la crise du coronavirus. Le 14 mai encore il a demandé avec insistance le report des examens du bac (ENEM).

Le glas sonnerait-il donc pour Jair Bolsonaro, fasciste de cœur, et de paroles, mais sans chemises noires, ni parti de masse ? Arrivé au sommet de l’État par le bon vouloir d’amis puissants, il a dilapidé leur confiance. Rien n’est moins sûr. Le café du commerce, 30 % des Brésiliens, souvent parmi les plus pauvres, travailleurs de rue, petits commerçants, fidèles d’églises évangélistes pentecôtistes, soutiennent ce président qui leur dit, « moi je veux bien vous laisser travailler, mais ceux qui vous confinent détruisent l’économie et vous font mourir de faim« . D’autre part les milieux d’affaires, le patronat de Saint-Paul, les agro-exportateurs, les militaires, les juges sont renvoyés à l’équation des élections de 2018 : écarter l’éventualité d’un retour de Lula et du PT au pouvoir, en fabriquant un contexte et un candidat adéquats. Le contexte a bien été au rendez-vous de l’élection. Le PT a bien été assimilé à la corruption. Mais le candidat n’a pas répondu à l’attente. 

Que faire aujourd’hui, alors qu’il n’y a pas de figure de droite répondant au cahier des charges ?  Le président du Congrès qui détient la clef constitutionnelle permettant d’engager la procédure de destitution a fait savoir que le moment n’était pas venu. Les militaires qui de fait avec la vice-présidence et dix ministres ont mis le président en tutelle, hésitent à donner le feu vert à la montée possible au pouvoir du vice-président, le général Hamilton Mourao. Il corrige, rectifie les propos et initiatives présidentielles. Il a présenté sa vision de l’État dans un entretien au quotidien de São Paulo, Estadao, le 14 mai. Mais pour l’instant, les choses en restent là. Conclusion, tirée par le gouverneur de l’État de São Paulo le 14 mai, « le bateau est à la dérive ».  Le coronavirus a donc de beaux jours devant lui. De favela en terres autochtones, le glas donc, sonne toujours pour le peuple brésilien.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY