Redécouvrir un chef d’œuvre du Mexicain José Emilio Pacheco : « Batailles dans le désert »

En ces temps de confinement, les maisons d’édition sont fermées ou largement ralenties dans leur travail. Toutes les publications prévues pour le printemps sont repoussées au mieux à cet été, au pire à la rentrée de janvier 2021. En attendant les nouveaux titres, nous profitons de l’instant pour découvrir ou redécouvrir quelques œuvres fondamentales de la littérature latino-américaine. Aujourd’hui, nous parlerons de  Batailles dans le désert (Las batallas en el desierto) de José Emilio Pacheco. 

Photo : Wikipédia

À chaque fois que je referme ces Batailles dans le désert du Mexicain José Emilio Pacheco (1939-2014), et j’en suis au moins à ma cinquième lecture, je me pose la même question : comment peut-on tout dire d’un pays et d’un personnage en à peine cinquante pages ? C’est pourtant ce que réussit de façon éblouissante Pacheco, poète avant tout, mais aussi auteur de cuentos et de scénarios de films (il a travaillé avec Arturo Ripstein), qui n’a publié que deux romans.

L’histoire se déroule à Mexico, sous la présidence de Miguel Alemán, tout juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, à l’époque où les États-Unis s’imposent chaque jour un peu plus dans la vie économique de l’Amérique latine, l’époque où le Mexique va passer de ce que l’on appelait encore le sous-développement au « modernisme » copié du voisin du Nord. Carlos, le narrateur et héros, franchit l’étape de l’enfance et de la maturité. Ces évolutions se déroulent sous les yeux du lecteur à travers le monologue de Carlos, adulte, qui fait le bilan de ces deux bouleversements fondamentaux.

Au Mexique, c’est la période où chacun s’adapte à la nourriture, au vocabulaire, aux nouveaux appareils ménagers, aux façons de vivre aussi, tout en conservant les bonnes vieilles coutumes machistes (par exemple, le père de famille qui ne prend pas la peine de cacher sa « seconde famille » et l’entretient même en privant sa famille « officielle »). Les gens sont méfiants face à ces intrusions d’une autre « civilisation » mais l’acceptent, par obligation et par goût (ils ont du charme, les jouets en plastique !). Dans cette société qui se voit changer trop vite, Carlos a le tort de tomber amoureux de la mère de son meilleur ami. Ce qui pourrait sembler simplement anodin, touchant ou risible, devient un drame monté en épingle par les parents, dont la solution ne pourra être que religieuse (une confession qui ratera son but pour la mère et une séance chez le psy qui ne changera rien de fondamental pour le père).

En cinquante pages (une petite heure de lecture), on découvre un roman psychologique, un roman historique, un roman social et même un quelque chose de roman fantastique. Une lecture qui offre à la fois information, humour, poésie et émotion ! 

Christian ROINAT

Batailles dans le désert de José Emilio Pacheco, traduit de l’espagnol (Mexique) et préfacé par Jacques Bellefroid, éd. La Différence, Paris, 1987, 87 p., 6,10 €.

Las batallas en el desierto, ed. Tusquets, Barcelona.