Réalité cauchemardesque de la révolution sandiniste. Un nouveau front propose une reforme structurelle

Le président Daniel Ortega face à la crise politique et sociale. Un front démocratique national propose une réforme structurelle pour les générations à venir. FMI, francophonie et très forte récession. Un profond changement attend la fin de l’ère Ortega dans un avenir peu éloigné. Au moment du bouclage de cette news nous apprenons la mort à 95 ans d’Ernesto Cardenal, ancien ministre de la culture nicaraguayen, plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de littérature. Trois jours de deuil national ont été décrétés dans le pays.

Photo : La Prensa Nicaragua

Fin février, sept organisations politiques ont formé une large « Coalition nationale » pour remplacer le manque de crédibilité du gouvernement par une sorte de progressisme démocratique. Annoncé solennellement par le biais d’une déclaration lue par Yubrank Suazo, l’un des responsables de la coalition, ce projet représente le grand espoir de l’opposition nicaraguayenne pour affronter le parti du président Daniel Ortega, qui pourrait briguer un quatrième mandat consécutif lors des prochaines élections générales de 2021. 

Le texte fondateur de l’alliance a été signé en présence d’une importante mobilisation policière, dans un quartier situé au cœur même de la capitale Managua. Parmi les différents mouvements de l’opposition créés en 2018, à la suite des manifestations anti-gouvernementales, figurent l’Unité national blanche et bleue (Unab) et l’Alliance civique pour la Justice et la Démocratie (ACJD).

Entreprises, étudiants, paysans, organisations civiles et syndicats se sont regroupés sous le nom de cette plateforme qui avait demandé, au moment de sa création, la libération de tous les opposants emprisonnés ainsi que la présence, en tant que « garants internationaux », de l’Organisation des États américains (OEA) et de l’Organisation des Nations Unies (ONU).

Avec l’éclatement de la crise en avril 2018, la nouvelle donne pour le Nicaragua, deuxième pays le plus pauvre d’Amérique après Haïti, est autant économico-sociale que politique. Après la contestation populaire qui a mobilisé le pays tout entier, Daniel Ortega avait fait marche arrière sur son plan d’austérité, trop conscient d’être «arrivé à ce moment fatal où le peuple ne peut plus supporter ni ses maux ni [ses] remèdes», selon les mots de l’historien Louis Madelin (1871-1956).

Ainsi, dans un message retransmis par la télévision nationale, M. Ortega s’est montré conciliant en déclarant que «le gouvernement [était] d’accord pour reprendre le dialogue pour la paix, pour la stabilité, pour le travail, afin que notre pays ne soit confronté à la terreur que nous vivons en ces moments». « Terreur », parce que les manifestations ont dégénéré en incidents violents qui se sont soldés par une sanglante répression : plus de 325 personnes tuées, 88.000 exilées et des centaines d’opposants emprisonnés selon la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH).

C’est la réforme de la sécurité sociale, mise à mal par la réduction budgétaire adoptée par le gouvernement pour « mériter » l’aide financière internationale, qui a déclenché la colère populaire comme une goutte d’eau fait déborder le vase. Il faut se rappeler que la médecine pour tous fut l’une des mesures phares du premier gouvernement héritier du rebelle nationaliste Augusto César Sandino (1893-1934). Mais, de toute évidence, ce service gratuit offert au peuple a surtout été une mesure démagogique déguisée en conquête humaniste, car impossible à maintenir sur le long terme. En conséquence, depuis deux ans, la goutte d’eau s’est transformée en vagues de manifestations réclamant la fin de la « dictature corrompue » instaurée par l’ancien chef de la révolution sandiniste et actuel président de la République.

Sur ce point, la colère populaire a trouvé une ample résonance le 20 février 2019, lorsque le conseiller états-unien à la sécurité, John Bolton, avait affirmé que les jours de M. Ortega «étaient comptés». Deux semaines plus tard, dans un discours sur Nicolás Maduro et la crise vénézuélienne, Donald Trump avait affirmé que «les jours du communisme étaient comptés au Venezuela, mais aussi au Nicaragua et à Cuba». Une déclaration péremptoire destinée à accélérer la chute d’Ortega car, pour Washington, le Nicaragua fait partie, avec le Venezuela et Cuba, d’une «troïka de la tyrannie».

Un rappel historique montre que l’apogée de cette « troïka» commença en 2007. Président depuis janvier de cette année-là, Ortega rejoignit les mousquetaires de l’alternative bolivarienne, à savoir les présidents Hugo Chávez au Venezuela, le bolivien Evo Morales et le patriarche Fidel Castro. Ce quatuor de non-alignés aux desseins de l’oncle Sam prétendait devenir un trèfle à quatre feuilles pour la région, voire les quatre points cardinaux du Cône Sud. Mais aujourd’hui, force est de constater qu’ils évoquent les quatre cavaliers de l’Apocalypse pour les millions de citoyens qui ont subi les conséquences de leurs utopies anti-impérialistes.

Justement, « les États-Unis gardent un œil sur le gouvernement d’Ortega » selon le rapport du journaliste Israel López, qui précise que « Washington a imposé des sanctions aux entreprises et aux personnes liées au président et à son entourage le plus proche ». C’est l’œil de la Maison Blanche doublé de l’haleine du FMI : la semaine dernière le Fonds monétaire international a déclaré que le PIB nicaraguayen avait été lourdement touché « en raison des graves troubles  sociaux contre le président Daniel Ortega » et sa loufoque première dame et vice-présidente Rosario Murillo dite « la Bruja » (la sorcière). Une délégation envoyée par le gendarme de l’économie latino-américaine a insisté sur le fait que « les troubles sociaux et leurs conséquences ont érodé la confiance et produit d’importantes sorties de capitaux et dépôts bancaires, ce qui a nui à l’activité économique du Nicaragua. »

Dans la même analyse, le FMI a estimé que l’an dernier le PIB a subi un recul de 6%, contre une baisse de 3,8% en 2018. La détérioration de la consommation générale est la conséquence directe de la perte de 300.000 emplois, un chiffre énorme qui équivaut en France à environ deux millions de travailleurs.

Comment peut-on envisager une sortie de crise dans ce contexte ? Plusieurs perspectives pourraient s’ouvrir si le ferment d’un changement  continue à rassembler les opinions sur un même horizon politique, en attendant que la nouvelle coalition nationale de l’opposition reste soudée et attentive au dialogue démocratique. Toutefois, un détail qui peut passer inaperçu laisse croire que la situation globale s’est en quelque sorte « apaisée ». Ainsi, l’Alianza Francesa de Managua vient d’annoncer le lancement de la Francophonie 2020. Une exposition photographique sur l’Argentine « en plus de la lecture et des chansons francophones » et un concours pédagogique – « Dis-moi dix mots » –  seront proposés aux étudiants français de la capitale du pays. Le communiqué officiel annonce « une nuit agréable au cours de laquelle le mois de la francophonie sera inauguré au Nicaragua. » Rendez-vous le 5 mars à 18 h.

Eduardo UGOLINI