Une analyse de Thomas Piketty à Londres : « Une idéologie des inégalités prévaut au Chili »

Lors d’une présentation à Londres de la version en anglais de son livre Capital et idéologie, Thomas Piketty l’économiste français – spécialiste des inégalités – a parlé du mouvement social chilien comme d’un point déterminant dans l’histoire de la mondialisation.

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Du même coup, il a pointé du doigt la plaie du modèle chilien, désignant le problème de l’inégale distribution des richesses comme le cœur de la révolte initiée en octobre, en rappelant que « le Chili et le Brésil sont quelques-uns des pays les plus inégalitaires au monde ». De plus, l’universitaire a soulevé un autre facteur, soulignant que « dans le Chili post-Pinochet, jamais n’ont été remises en question les bases de la Constitution ». Le cas chilien est digne d’analyse dans le monde entier. Et c’est ainsi que l’ont reflété les mots du français Thomas Piketty, considéré comme l’économiste le plus influent de ces dernières années, qui, durant la présentation à Londres de la version anglaise de son dernier livre Capital et idéologie, a abordé l’éclatement d’octobre au Chili. 

Un mouvement planétaire inédit

L’expert des inégalités économiques et de la répartition des revenus a catalogué ce qui se passe chez nous [au Chili], ajouté aux manifestations au Liban et à la vague des gilets jaunes en France, comme un mouvement qui contribue à diminuer les inégalités économiques qui affaiblissent aujourd’hui une grande partie de la planète. « Ce qui s’est passé au Chili, les manifestations contre les inégalités et pour une plus grande égalité économique, est très important, parce que cela démontre que nous sommes à un point déterminant dans l’histoire de la mondialisation », a commenté le professeur de l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales) et de l’École d’Économie de Paris. Pendant sa présentation à l’École d’Économie et de Sciences Politiques de Londres, l’universitaire a insisté sur le fait qu’« en Amérique Latine, en particulier au Chili et au Brésil, se trouvent les pays les plus inégalitaires du monde ». 

« Dans le Chili post-Pinochet, jamais n’ont été remises en question les bases de la Constitution, qui en termes très larges touchent à la distribution des richesses et au système éducatif. Ont prévalu un système éducatif privé qui commence dès l’école primaire, et une idéologie des inégalités que défendent certains économistes et philosophes connus, comme Hayek, mais ces mouvements politiques contribuent aux changements », a-t-il ajouté. 

L’idéologie de l’inégalité

Piketty est l’auteur du best-seller Le Capital au XXIème siècle (2013), dans lequel il aborde les inégalités économiques en Europe et aux États-Unis depuis le XIXème siècle, et où il fait l’analyse de l’histoire de la distribution des richesses, et de la manière dont cela impacte les inégalités actuelles. Dans son nouveau livre Capital et idéologie, il soutient que les inégalités ne sont ni économiques ni technologiques, mais idéologiques et politiques. 

Piketty est un auteur de référence. Même l’ex-président de la Banque Centrale du Chili, José de Gregorio, a déclaré qu’« il ne fait aucun doute que c’est l’économiste le plus influent de ces dernières années, probablement de ces dernières décennies ». « Le travail de Thomas Piketty doit être l’un des plus importants en économie, et il le restera longtemps. De fait, l’analyse de Piketty peut être utilisée pour discuter de la réforme de l’impôt, du système des pensions et du droit du travail », a indiqué l’actuel doyen de la Faculté d’Économie et de Commerce de l’Université du Chili dans une analyse publiée en 2015. 

Piketty au service la contestation sociale

Cette même année, l’économiste français a été dans le pays pour présenter son livre Le Capital au XXIème siècle au Congrès Futur. Le lancement a été accompagné par l’ex-président Ricardo Lagos Escobar, qui a qualifié le livre d’« outil puissant pour tous ceux qui pensent que dans les sociétés dans lesquelles nous vivons, c’est aux citoyens de prendre les décisions les concernant, et non aux consommateurs du marché ».  À cette occasion, Piketty a également pointé du doigt la plaie des inégalités dans le pays. « J’aimerais beaucoup être plus informé sur l’Amérique latine et le Chili, mais on sait que les inégalités de revenus sont élevées au Chili et dans toute l’Amérique latine », a affirmé l’influent économiste au Congrès Futur. Sur ce point, il a indiqué que « généralement, elles sont sous-estimées parce que nous n’avons accès qu’aux informations auto-rapportées par des enquêtes auprès des ménages, et ce type d’information tend à sous-estimer les inégalités ». 

Il a ajouté que « le Chili va avoir besoin de plus de transparence sur les revenus et la richesse », du fait que « cette transparence peut peut-être éviter la corruption et permettre de se rendre compte que le système d’impôts n’a pas été aussi bien appliqué qu’il aurait dû l’être ». 

Traduction de Lou BOUHAMIDI                                

Adaptée de El mostrador