Nicaragua  : une crise politique meurtrière qui dure

Le retour au pouvoir de Daniel Ortega date de 2007. Réélu depuis sans discontinuer, après une modification de la Constitution, l’ancien guérillero s’accroche au pouvoir avec son épouse Rosario Murillo qu’il a nommée vice-présidente. Aujourd’hui, le jeune guérillero sandiniste d’alors, âgé de 74 ans, réprime dans le sang les manifestations d’opposants au nom de la « paix sociale  ». « Nous sommes au courant que vous faites ce genre de choses. » (Amnesty International). 

Photo : La Prensa

Le Nicaragua est un pays d’Amérique centrale dont la population multiethnique compte six millions d’habitants d’ascendance autochtone, européenne et africaine. Dans les années 80, il a connu une révolution avec la fuite au Paraguay du dictateur Somoza et la victoire des sandinistes qui portaient alors les espoirs de la gauche latino-américaine. Daniel Ortega, élu à la tête de l’État en 1985, avait dû affronter la révolte des « contras »  : des paysans entrés en rébellion contre le gouvernement sandiniste avec l’aide des États-Unis, présidés par Ronald Reagan. Désastre : cinquante mille morts, une économie en ruines, une inflation galopante et des pénuries à la suite de l’embargo imposé au pays par les États-Unis opposés au régime sandiniste. La guerre civile n’avait pris fin qu’en 1990 avec l’élection à la présidence de Violeta Chamorro

Deux présidents de droite ont succédé à Mme Chamorro, Arnoldo Alemán et Enrique Bolaños  ; ils ont été accusés tour à tour de népotisme et de corruption, ouvrant la voie au retour au pouvoir de Daniel Ortega. Aime-t-il le soufre ? Philippe Lançon raconte dans Le Lambeau, alors qu’il était un jeune reporter du journal Libération envoyé à Bagdad avant la première guerre d’Irak (janvier 1991), la rencontre avec Daniel Ortega, un des « invités » de Saddam Hussein le «  dictateur sanguinaire »  : Daniel Ortega «  n’était plus un guérillero marxiste et pas encore un caudillo chrétien, il ressemblait à un petit loubard des faubourgs de l’Histoire  ». Il n’était pas encore devenu un caudillo sanguinaire. 

Des manifestations contre le népotisme, la corruption, les violences meurtrières 

Le 18 avril 2018, des manifestations antigouvernementales ont commencé par s’opposer à une réforme de la sécurité sociale recommandée par le FMI. Les manifestants ont très vite réclamé des élections anticipées et le départ de Daniel Ortega, accusé d’avoir mis en place une dictature népotiste et corrompue. Les mêmes mots par lesquels le régime de Somoza était condamné. 

Depuis près de deux ans, la répression est sanglante : les violences politiques ont fait des centaines de morts et des milliers de blessés, dans leur écrasante majorité dans les rangs des opposants, selon les organisations de défense des droits de l’Homme. Plus d’un demi-millier d’opposants sont emprisonnés tandis qu’environ soixante mille Nicaraguayens ont pris le chemin de l’exil et, selon les entreprises, quatre cent cinquante mille emplois ont été détruits.

Les condamnations internationales se succèdent. La Commission de Haut Niveau de l’OEA sur le Nicaragua, approuvée en juin 2019, avait pour objectif de faire des recommandations pour résoudre la crise politique et sociale. En novembre 2019, L’Union européenne appelle le gouvernement de Daniel Ortega « à garantir le plein respect des droits constitutionnels de tous les Nicaraguayens » à la suite de l’occupation de seize églises par des manifestants d’opposition qui n’ont plus la liberté de manifester depuis un an. Le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme a appelé le gouvernement à « mettre fin à la répression persistante des dissidents et aux détentions arbitraires. » L’archevêché de Managua avait aussi demandé au président Daniel Ortega de « prendre des mesures immédiates pour que les églises catholiques soient respectées », et à la police et aux groupes paramilitaires sandinistes de « retirer » leurs hommes des environs des églises. Le président rejette l’aide de la communauté internationale pour tenter de sortir d’une crise politique meurtrière qui dure.

Franck Gaudichot (Recherches internationales, septembre 2019) écrit qu’on a affaire à « la création d’une véritable mafia » sous la coupe du couple Ortega et d’une partie de sa famille qui contrôlent des conglomérats d’entreprises, la moitié des médias et les trois pouvoirs de l’État. 

Des ONG interdites, la presse harcelée 

Depuis quelques semaines, la presse internationale est plutôt silencieuse sur la situation au Nicaragua : les morts sont moins nombreux, les vivants ont peur, les gens se terrent, d’autres s’exilent. Certains événements trouent le silence  : entre Noël 2019 et le Nouvel An, deux frères de la militante belgo-nicaraguayenne Amaya Coppens ont été violemment passés à tabac ainsi que deux amis, par des agresseurs armés. Ils avaient le tort de manifester contre l’incarcération de prisonniers politiques et d’être des proches de la militante d’opposition. 

Elle, étudiante en médecine de 24 ans, a été arbitrairement détenue une première fois pendant plusieurs mois pour avoir manifesté en avril 2018 contre le régime de Daniel Ortega. De nouveau arrêtée en novembre 2019 pour avoir apporté de l’aide à des femmes proches d’opposants emprisonnés, en grève de la faim, elle doit être jugée le 30 janvier pour « détention d’arme illégale  ». Le Centre Nicaraguayen des Droits de l’Homme (CeNiDH), organisme créé en 1990 qui a divulgué ces informations, est privé de statut légal. 

Dans ce qui apparaît comme une stratégie de destruction des organisations de la société civile, de nombreux organismes non gouvernementaux sont privés d’existence légale, parmi elles  : «  Hagamos Democracia  » (« Faisons la démocratie »), l’Institut d’études stratégiques et de politiques publiques, le Centre d’information et de service de conseils de santé, une organisation féministe… La presse écrite et audiovisuelle n’est pas épargnée par la répression : les journalistes ont été la cible de plus de quatre cent vingt agressions, actes de censure ou menaces de la part des forces de police ou des paramilitaires dès les six premiers mois de la crise politique au Nicaragua. 

La mobilisation internationale ne devrait pas faiblir, en commençant par l’information à différents niveaux. Le premier devoir est d’abord d’attirer l’attention et de dire : « Nous sommes au courant que vous faites ce genre de choses. »

Maurice NAHORY