Les référendums locaux qui mettent en échec la stratégie de « dialogues citoyens » du gouvernement

Bien que le gouvernement soit complètement opposé à l’idée d’élaborer une nouvelle Constitution, au sein des municipalités, l’idée de créer un réseau de consultations citoyennes demandant au peuple s’il veut ou non d’une nouvelle Constitution s’est imposée. Ces consultations auraient lieu dans une centaine de « cabildos », des conseils municipaux organisés la semaine dernière. Ce pari permettrait même que quelques maires du parti au pouvoir remanient la proposition du gouvernement. Une stratégie qui pourrait ternir les dialogues citoyens menés par le ministre Sichel et destinés à faire pression au sein du Palais pour une ouverture à un nouveau pacte social.

Photo : Pura Noticia

La proposition de « dialogues citoyens » du ministre Sébastian Sichel n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme du côté de l’opposition, notamment auprès des maires à qui le ministre a demandé de jouer un rôle de premier plan dans le processus. L’absence de débat autour d’une nouvelle Constitution a créé une division entre ceux qui étaient prêts à faire partie de la stratégie du Gouvernement et ceux qui y voient « une tentative de contourner le mouvement social ».

Une partie des maires a commencé à travailler sur une nouvelle proposition, laquelle sera étudiée de façon approfondie à l’occasion d’une vaste concertation cette semaine, à laquelle pourraient même participer certains maires du parti au pouvoir. En plus de la structuration des « cabildos », les maires préparent la mise en place d’un réseau de consultations dans les municipalités pour une nouvelle Constitution. Une sorte de référendum local dont l’objectif est de confier le pouvoir constitutionnel aux mains des citoyens.

Le maire de Recoleta, Daniel Jadue (PC), explique que « ce n’est pas une idée qui provient d’une seule commune, mais la concertation entre un ensemble de maires qui se coordonnent pour réaliser un référendum plus large que celui d’un seul gouvernement local. Nous avons l’intention de réunir le plus grand nombre de maires au niveau national ». Il ajoute que « cela peut être un très bon exercice, pour ceux qui craignent les citoyens, qui craignent la participation – principalement à droite -, comprennent que ceci est le bon chemin ».

Il faut souligner qu’en plus de ne pas inclure de débat autour de la Constitution parmi les sept axes prioritaires pour le Gouvernement, La Moneda refuse catégoriquement l’éventualité d’un référendum pour définir s’il y aura ou non une nouvelle Constitution. « Ils ont déjà la solution participative et il s’agit de notre initiative de dialogues citoyens », souligne un collaborateur de l’exécutif.

Au sein de Chile Vamos[1] le panorama est un peu différent. Il y a quelques jours, le président de Rénovation nationale (RN), Mario Desbordes, s’est dit ouvert à l’étude de la possibilité de renouveler la Constitution, position qu’ont également adoptée le sénateur Manuel José Ossandón et Lily Pérez. C’est précisément dans le parti de M. Desbordes que quelques maires ont poussé – sous le manteau – l’idée des référendums locaux.

Un autre maire parmi ceux qui ont impulsé l’idée de consultations locales sur la Constitution est le maire Jorge Sharp (CS) de Valparaíso. Il souligne qu’il a été démontré avec les mobilisations que le changement constitutionnel est une priorité pour les citoyens, « la question que l’on peut se poser est, qui doit avoir le pouvoir constitutionnel et la réponse à cette question est : le peuple du Chili. Il faut que ce soit le peuple qui trouve les réponses pour dessiner les contours d’un nouveau pays et non pas ceux qui sont en place depuis toujours et qui ont noué un pacte entre les élites politiques et économiques ».

Une idée qui ne suscite pas une adhésion unanime au sein du monde politique, bien que dans l’opposition il y ait un consensus à propos de la nécessité d’une nouvelle Constitution. Le mécanisme et les participants du processus constituant représentent un enjeu interne. Dans les partis situés au centre de l’échiquier politique ou les partis liés au Parti de l’Ordre, il a été proposé d’inclure les parlementaires et un groupe représentatif de citoyens pour former une assemblée constituante.

Le maire Sharp explique que le processus constituant ne peut mettre personne à l’écart, « si un maire, un député, un conseiller municipal, ou bien un fonctionnaire veut jouer un rôle dans ce processus constituant, il devra avoir les mêmes possibilités qu’un dirigeant du conseil de voisins, une académicienne, un dirigeant de petits commerçants, parents ou des parents d’élèves. Il ne devrait pas avoir de vétos dans le processus, dans la mesure où les représentants ont été élus démocratiquement par les citoyens ».

Maintenir le modèle

Une des principales critiques des maires quant à la position du gouvernement est le manque de volonté de dialogue pour des changements constitutionnels. Le maire d’Independencia, Gonzalo Durán, dit « soit le gouvernement ne comprend pas, soit il n’a pas la volonté de sortir d’une structure dogmatique, dans le domaine économique et de la place des citoyens. Il continue à insister à opposer les revendications sociales à la Constitution, alors qu’elles font partie d’un même processus ».

Pour la maire de Recoleta, à La Moneda on cherche à « maintenir la Constitution et le modèle de la dictature, dont ils ont fait partie. Ici il y a une décision politique qui cache une peur et une vocation profondément anti-démocratique ». Cette vision qui est partagée par d’autres maires de l’opposition qui sont en train de prendre en considération les dits « conseils municipaux citoyens ».

Malgré les efforts pour parvenir à un consensus avec Chile Vamos, Jorge Sharp doute que le « gouvernement et la droite souhaitent le changement de la Constitution. Ils ont justifié et façonné cette Constitution – qui les favorise – depuis 40 ans, pourquoi voudraient-ils la changer ? Les gens ont protesté pendant des semaines et il n’y a pas eu de réponse claire pour dire que la droite a réellement écouté », affirme le maire de Valparaíso.

Dans la même lignée, Rodrigo Ruiz, un des intellectuels du nouveau centre-gauche, signale que le pacte social « est le nom que reçoit une des idées les plus répétées » du gouvernement. Il soutient qu’il est nécessaire de souligner « qu’on n’est pas dans une situation qui peut être décrite comme la crise d’un pacte précèdent, puisque le régime actuel a été installé de forme complètement autoritaire et repose sur tout sauf un pacte social ». Et il rajoute que ce régime « ne suppose pas un accord, précisément car son installation et fonctionnement consistent en la permanente suppression de toute situation démocratique de laquelle puisse émerger quelque chose ressemblant à un pacte social ».

Finalement, le maire Sharp, dit que le Chili vit une opportunité historique, puisque les constitutions passées de notre pays « ont été précédées par un processus de guerre civile ou de violence. Ce qu’on a devant nous aujourd’hui c’est que, pour la première fois dans notre histoire, on a la possibilité de définir une Constitution en démocratie, en paix, et basée sur le dialogue ».

La proposition critiquée de Sichel

Malgré les critiques exprimées par les maires pendant la réunion de ce week-end, le gouvernement reste convaincu que le dialogue avec les citoyens, dans la lignée du débat proposé par le président français Emmanuel Macron, est la meilleure réponse face à la crise.

Au-delà du modèle de traitement et de synthèse de données, l’idée est de montrer un visage amical, protégeant l’image du Président Piñera. C’est là que surgit la position du nouveau ministre Sichel, dont le rôle en première ligne ne plaît pas du tout aux partisans de Chile Vamos, puisque le visage social du processus n’appartient pas à un parti au pouvoir et provient de l’essaim plus libéral de l’ex Nueva Mayoría[2].

Dans la proposition présentée par le ministre de Développement social, rendue le dimanche 30 octobre, on détaille l’établissement d’un dialogue citoyen dont le but est un Nouvel Agenda Social, dans le cadre des sept points proposés par le Président Sebastián Piñera, au milieu de la crise.

A la tête du processus il y aura un Groupe directif ainsi que seize groupes régionaux dans lesquels on retrouvera un Secrétariat Exécutif et un Conseil Observateur. S’ajouteront également seize conseils régionaux et des Observateurs Externes. Les processus auront lieu sous forme virtuelle et présentielle. Le ministre espère que la participation s’élèvera à hauteur de 90% de participation, 165 communes, avec l’objectif de former un Nouvel agenda social « à court, moyen et long terme » et de poser « les bases pour un nouveau paradigme de participation citoyenne ».

Les dialogues auront lieu au niveau communal grâce à des groupes de vingt personnes et dureront environ trois heures, un temps partagé entre le processus de réflexion et de diagnostic, pour ensuite passer aux demandes sociales, qui se présenteront sur la base de « questions spécifiques quant aux thème prioritaires. Ensuite, des experts citoyens élaboreront les propositions pour le Nouvel agenda social.»

Dix grands thèmes seront traités, « avec des questions spécifiques à prioriser », précise le document. Les thématiques sont : les bonnes pratiques et le combat contre les abus, la bureaucratie et les bonnes pratiques du secteur publique et la probité, l’éducation, l’équité territoriale et le logement, les pensions, la santé, la sécurité, les services basiques (transports et tarifs), le travail et les revenus, ainsi qu’une mention « autres ».

Il faut souligner que le groupe directif, composé par les autorités locales, les dirigeants sociaux, les représentants des universités et les spécialistes internationaux, sera présidé par le ministre de Développement social et de la Famille et sa composition devra être approuvée par le chef d’État. En plus de diriger le processus, ce groupe est chargé de rédiger les propositions pour le Nouvel agenda social.

Dans le document, le ministre Sichel ne mentionne pas le thème de la nouvelle Constitution, et rien n’est spécifié sur le caractère contraignant ou sur une consultation postérieure issue du dialogue citoyen sur les propositions qui s’en dégageront.

À propos de ce thème, Jadue considère que le gouvernement « a dit que nous allons participer, nous les maires, mais nous somme un nombre important à ne pas être disposés à accepter le manque de volonté politique du Gouvernement. Tant que l’on ne nous assurera pas que l’on n’abordera pas uniquement l’agenda social du gouvernement et que l’on prendra en compte la nouvelle constitution, moi au bas mot ainsi que plusieurs autres collègues, nous ne participerons pas à une telle chose ».

Pour le maire Durán, « entamer des dialogues et des conseils municipaux qui n’intègrent pas correctement les thèmes de fond et les thèmes structurels n’a pas de sens. J’apprécie l’initiative de générer un processus vraiment participatif, mais cela doit avoir une expression concrète à la fin du processus ».

Le maire de Recoleta ajoute que « notre but n’est pas de jouer le jeu du gouvernement et de finir par démobiliser les citoyens », avant de poursuivre en disant qu’avec cette proposition « il y a une tentative de détourner le mouvement social ».

Chili – El Mostrador, 30 octobre 2019
Traduit par Nicolás Bonilla Clavijo

El Mostrador : SITE
[1] Parti politique de Sebastián Piñera
[2] Parti politique chilien dirigé par l’ex-présidente Michelle Bachelet